La série "Tapie" de Tristan Séguéla et Olivier Demangel est à voir sur Netflix.
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Atlanti-Culture
La série "Tapie" de Tristan Séguéla et Olivier Demangel est à voir sur Netflix.
Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.
Tapie
De Tristan Séguéla et Olivier Demangel
Mini-série en 7 épisodes de 50mn à une heure
Sur Netflix depuis sept. 2023
Avec Joséphine Japy, Samuel Labarthe, Laurent Laffite, Fabrice Luchini, Philippe Résimont, David Talbot…
Notre recommandation : 4/5
THÈME
Dans cette mini-série, chaque épisode met l’accent sur un moment de bascule dans le parcours hors-norme d’un individu peu banal. La période couvre ainsi une trentaine d’années, au cours desquelles on voit comment le chanteur amateur Bernard “Tapy“ - vainqueur improbable d’un radio-crochet sans doute largement bidonné (puisqu’il l’emporte sur… Michel Polnareff himself) en 1966 avec un titre prémonitoire (Passeport pour le soleil) - devient Bernard Tapie, symbole pour les uns de la réussite d’un entrepreneur audacieux et charismatique, alors que pour les autres, il est le porte-étendard des “années-fric“ dans une Mitterrandie en pleine décadence.
En effet, issu d’un milieu populaire de banlieue - son père, ancien militant de la CGT, est chauffagiste - Bernard Tapie gravit (non sans obstacles) les échelons d’une réussite qui ne semble jamais devoir s’arrêter : bientôt président du premier club de football français champion d’Europe, il va « droit au but ».
Le voilà sur le point de briguer la mairie de Marseille, dont il compte en faire un tremplin pour la conquête de rien moins que l’Elysée… Mais la roche Tarpéienne n’est jamais très loin du Capitole…
POINTS FORTS
Le tour de force de Tapie consiste à nous proposer un personnage pouvant susciter l’empathie, voire la sympathie et l’admiration, car Tapie regorge d’idées et d’intuitions : sa chaîne d’électro-ménager fait du Darty avant l’heure ; son “Cœur assistance“ annonce le SAMU né bien plus tard (en 1986) ; sans oublier son idée-maîtresse de rachat d’entreprises (papeterie, piles Wonder) en difficulté pour les remonter, puis les revendre quand les circonstances l’exigent. Seulement voilà, “Nanard“ est toujours en mal de capitaux pour concrétiser ses projets, qui sont loin d’être insensés. La série restitue bien l’énergie du personnage, six fois tombé et sept fois relevé, ainsi que son amour sans réserve pour sa femme Dominique.
De la même manière, on ne nous cache rien de ses travers (le mot est faible) : Bernard Tapie, c’est un peu le commerçant alpagueur des marchés de quartier, avec son bagout et son aplomb à toute épreuve ; il y rajoute un manque de scrupules croissant au fil du temps et de sa réussite, ainsi qu’une absence à peu près totale de sens moral.
Le choix des moments-clés du parcours de Tapie est toujours pertinent, et la série est ponctuée de nombreux morceaux de bravoure. S’il ne faut en garder qu’un, ce serait la première entrevue (nocturne) entre un Tapie tout juste marié et champion d’Europe grâce à l’OM, et le procureur Montgolfier, juste avant la mise en accusation de Jean-Pierre Bernès pour le match truqué Valenciennes-OM. Les protagonistes se livrent à un savoureux jeu du chat et de la souris, qui montre à l’envi les limites du charisme de l’homme d’affaires, et son absence abyssale de moralité.
Tous les acteurs sont remarquables et justes, et - c’est décisif dans le cas présent - Laurent Lafitte investit pleinement le rôle, compose un “Nanard“ plus vrai que nature, à ceci près que sa perruque part parfois de travers. A ses côtés, Dominique, sa femme, est interprétée par Joséphine Japy, délicieuse et affirmée ; quant à Mitterrand, Samuel Labarthe le rend plus souverain, impénétrable et manœuvrier que jamais. Le procureur Eric de Montgolfier (David Talbot) se montre impavide et inquiétant à souhait, alors que Philippe Résimont est impayable en Raymond Goethals, la clope au bec en permanence et l’accent belge à couper au couteau... Fabrice Luchini fait même une brève apparition en investisseur décisif dans la trajectoire professionnelle et même sentimentale de Tapie.
QUELQUES RÉSERVES
Peu, voire aucune.
ENCORE UN MOT...
La thèse défendue par la série est que ce qui perd Tapie tient moins à ses affaires toujours un peu bancales qu’à son rapport au pouvoir et à ses ambitions politiques démesurées. Instrumentalisé par Mitterrand, qui cherche une martingale pour sauver un gouvernement Bérégovoy à la dérive (alors que se profilent de désastreuses législatives pour la gauche), Tapie est “débranché“ dès lors qu’il est rattrapé par des affaires. De la même manière, ses projets sont stoppés net dès qu’il affiche des ambitions nationales déplacées.
En définitive, “Nanard“, c’est un peu Jojo le démago, morceau prémonitoire du chanteur Renaud , qu’on en juge :
« Voici l'histoire pas très banale / D'un gars qu'était fils de prolos / Qui travaillait la nuit aux Halles
Qui ne traînait jamais les bistrots.
[…]
C'est Jojo l'démago / L'président des gogos / Qui fascine les péquenauds / Quand il danse le tango.
Jojo avait de l'ambition / Y voulait oublier son rang / Y rêvait d'grimper les échelons / Et d'finir un jour Président.
Y d'vint l'idole de la jeunesse / Car il savait se faire aimer / Surtout des gars d'Garges-Les-Gonesses / Qu'étaient là que pour faire rimer.
C'est Jojo l'démago / L'président des gogos / On peut voir sa photo / Sur les murs du métro-cadéro.
Un jour y misa son larfeuille / Sur un tocard à cent contre un / Dans la cinquième course à Auteuil / Le cheval gagna haut la main
Jojo toucha le gros paxon' / Il s'arrêta de travailler / Il se fit des tas d'relation' / Du côté d'la bonne société.
C'est Jojo l'démago / Qu'a trahi les prolos / Y traîne les casinos / De Nice à Monaco-caïn
L'harangua si bien les rombiers / D'son quartier qu'un beau jour enfin / Les p'tits commerçants les plombiers / L'élirent député du coin [coin-coin
Mais Jojo qui savait causer / Fit tant et si bien son turbin / De représentant des larbins / Qu'on l'élisa à l'Élysée olé !
C'est Jojo l'démago / L'président des gogos / Qui vous paye l'apéro/ Sur l'argent des impôts-pulo. »
(Renaud, Place de ma mob, 1977),
UNE PHRASE
Tapie [au Procureur] : « OM-Valenciennes, voyons ! C’est comme si Gros minet avait peur de Titi !
Le Procureur de Montgolfier [glacial] : Titi l’emporte toujours sur Gros minet. […] Je sais pourquoi vous êtes venu ici, monsieur Tapie, mais vous n’étoufferez pas cette affaire. »
[…]
Tapie : « Vous savez d’où j’viens ? J’viens d’nulle part, et quand on vient d’nulle part, on est un peu obligé de jouer des coudes pour s’en sortir.
Le Procureur : C’est le lot de chacun, non ?
Tapie : Ouais, ben, excusez-moi, c’est pas contre vous, mais vu votre nom, et l’milieu d’où vous v’nez, j’pense que vot’ place elle est un peu plus légitime, non ? […] Vous savez pas c’que j’représente pour les gens : quand y’m’voient, y’s’disent qu’avec un peu d’boulot, ils pourront obtenir beaucoup plus que c’que des gens comme vous leur ont promis…
Le Procureur : … du rêve en toc. C’est peut-être ce que je vous reprocherais le plus, à titre personnel bien entendu : vous pouviez faire beaucoup plus et beaucoup mieux, et voilà, vous avez choisi la magouille, la corruption, les bassesses… Vous auriez pu être un météore, et vous n’êtes qu’une nébuleuse, monsieur Tapie. Vous avez vécu par l’image et vous périrez par l’image. »
L'AUTEUR
Tristan Séguéla est depuis 2013 réalisateur de films pour le cinéma, après avoir travaillé pour la télévision. Son Docteur ? est ainsi récompensé par le Grand prix du Festival international de la comédie de Liège (2019). C’est avec le comédien du rôle-titre de Tapie qu’il a l’idée de cette mini-série, réalisée sans l’aval du principal intéressé (opposé puis décédé), ni de ses proches.
Olivier Demangel, romancier et scénariste, présente un profil différent, mais très complémentaire : cet ancien élève de l’ENS de Paris passe l’agrégation de Lettres modernes, puis intègre la Femis au département scénario. Il collabore ainsi à l’écriture de 9 mois fermes d’Albert Dupontel (2014), coécrit ensuite pour divers films, participe à l’écriture de divers épisodes de Baron noir (Canal Plus), avant de s’associer à Tr. Séguéla pour la série Tapie.