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Incursions armées en Russie: «Ceux qui passent par notre structure ne sont pas nécessairement d’ultra-droite»

Depuis le début de semaine, des raids militaires sont signalés dans la région de Belgorod, émanant de combattants russes infiltrés depuis l'Ukraine et opposés au régime de Poutine. Deux groupes seraient à la manœuvre : le Corps des volontaires russes, une formation paramilitaire classée à l’extrême droite, et la légion Liberté de la Russie, présentée comme plus modérée. Maria Noël, du service russe de RFI à Paris, a pu s'entretenir avec la responsable du « Conseil civil », une organisation d’émigrants russes alliée de la première unité, chargée notamment du recrutement.

C'est le 2 novembre dernier que « le Conseil civil » a rendu publique son activité, en tant que partenaire et allié politique du Corps des volontaires russes (RDK). Dans un bref mémorandum, il proclame sa solidarité avec « la résolution de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui reconnaît le caractère terroriste du régime actuel en Russie ». En plus des « groupes d’initiative citoyens issus des républiques autonomes et de régions de Russie », l’association politique est représentée par « des unités de citoyens de la Fédération de Russie faisant partie des Forces armées ukrainiennes pour mettre fin à la guerre et mettre en œuvre une transition citoyenne - un programme visant à éliminer un groupe criminel du pouvoir ». L’alliance considère que « chasser les terroristes au pouvoir requiert l’usage de la force armée ». 

Anastasia Sergeeva est la secrétaire internationale et cofondatrice du Conseil civil. Dans cet entretien, elle évoque la manière dont se déroule le recrutement de volontaires dans ces unités, sur les fonctions de son organisation et sur les raisons pour lesquelles un nationaliste de droite russe et un professeur de yoga peuvent se retrouver côte à côte, sur le champ de bataille.

RFI : Quand le Corps des volontaires russes (RDK) a-t-il été créé ?

Anastasia Sergeeva : Il s'agit d'une division au sein de la Légion internationale du ministère de la Défense de l'Ukraine. Ce n'est pas une société militaire privée – comme Wagner – ou un mouvement partisan. Il s'agit d’une unité militaire au même titre que le régiment Kalinovsky, le bataillon géorgien et d'autres unités de la Légion internationale ukrainienne. Ils sont entrés dans la Légion en août de l'année dernière et avant cela, ils avaient le statut de force de défense territoriale. Le noyau dur du RDK sont des citoyens de la Fédération de Russie qui ont combattu dans le bataillon Azov. Ils ont été rejoints par ceux qui étaient en Ukraine au début de la guerre.

Quelles sont les fonctions du Conseil civil ? A-t-il été difficile d'organiser le recrutement des volontaires ?

Bien sûr, il est difficile d’organiser le recrutement de volontaires. L'idée du Conseil civil [on manque toujours d'informations complémentaires sur ses membres, NDLR] est née dans les premiers jours de la guerre. Les fondateurs sont des gens qui ont immédiatement compris quels étaient nos buts et que nous n’avions pas de temps à perdre en discussion. Les premiers contacts avec l'Ukraine ont eu lieu en mars de l'année dernière, mais suite aux événements à Bucha et Irpin, Zelensky a adopté un décret interdisant aux citoyens russes d’entrer en Ukraine, ce qui a considérablement ralenti le processus.

Cela nous a beaucoup aidés que Denis Sokolov, un chercheur spécialiste du Caucase très célèbre et respecté parmi les musulmans, soit un des co-fondateurs du Conseil civil. Cela nous a permis d'établir des relations avec le commandant du bataillon « Crimée », Isa Akaev. Maintenant, il est très clair que nous sommes des alliés de l’Ukraine et nous sommes reconnaissants aux Ukrainiens qui nous ont aidés tout ce temps. Nous accordons une grande importance à leur confiance.

À l’automne dernier, nous sommes convenus avec le commandement ukrainien que le RDK deviendrait une plateforme pour les volontaires que nous recrutons hors d’Ukraine. À cette époque, c'était la seule division structurée où il était possible d’ajouter des hommes. Depuis le début 2023, il y a eu plusieurs vagues d’arrivée. Les hommes qui sont passés par nous ont participé aux opérations de mars et à celle en cours actuellement. Récemment, un de nos volontaires a été tué (Dmitri Petrov, antifasciste et anarchiste de Russie, docteur en histoire et anthropologue, mort lors de la défense de Bakhmout à la fin du mois d'avril). Deux autres ont été blessés dont un grièvement.

Le positionnement politique des combattants du RDK soulève de nombreuses questions. Dans les chaînes Telegram du Corps des volontaires russes, sur une des vidéos, on voit deux personnes que l’on aurait du mal à imaginer ensemble dans la vie civile : un membre de l’ultra-droite nationaliste, Alexei Liovkine, et un ancien acteur et professeur de yoga, anarchiste, Kirill Kanakhine. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

Ceux qui passent par notre structure ne sont pas nécessairement d’ultra-droite. Aujourd’hui, il y a aussi le bataillon « Sibérie » qui recrute des volontaires, notamment de gauche ou anarchistes. C’est pourquoi les volontaires peuvent choisir quelle division ils veulent rejoindre.

Une des difficultés que nous rencontrons actuellement, c'est de permettre aux volontaires situés dans un pays tiers - qui ont besoin d'un visa pour entrer en Ukraine, ou se trouvent en Russie sans passeport ou ont demandé l'asile en Europe, mais veulent néanmoins combattre - de nous rejoindre. Nous travaillons sur ces questions avec l’aide du Conseil civil.

Nous nous chargeons aussi de fournir l’équipement, la formation, le transport des volontaires, nous aidons leurs familles et les volontaires eux-mêmes tant qu’ils ne sont pas sous contrat avec l’armée ukrainienne et ne sont pas payés.

Le Conseil civil est une large organisation, ce qui suppose la participation de tous ceux qui sont prêts à se battre pour leur patrie - quel que soit le sens donné à ce mot. C’est pourquoi dans cette organisation, les nationalistes russes sont contraints de s’accommoder de la présence de nationalistes tcherkesses ou yakoutes. Les gens de gauche avec ceux de droite, les musulmans avec les orthodoxes, etc.

D’abord, c'est tout à fait logique. Si cela ne vous plaît pas que se battent seulement des gens de droite, alors rejoignez-nous. Ensuite, en Russie, on a trop discriminé et monté les gens les uns contre les autres. Tant qu’un homme ne commet pas de crime, il a le droit de penser ce qu’il veut. Et la marginalisation des nationalistes par l’intelligentsia libérale a poussé une partie d’entre eux vers le fascisme et le nazisme. Quand les nationalistes russes montent à l’assaut avec des tchétchènes ou des yakoutes, il est difficile de leur reprocher leur nazisme ou leur fascisme.

Mardi, les autorités russes ont déclaré avoir levé le régime d’opération anti-terroriste dans la région de Belgorod. Celle-ci a duré un peu moins de 24 heures et s’est achevée sur la « liquidation » de la menace. Quel était le but de cette opération ? Pensez-vous que l’opération en elle-même ait été un succès ?  

En ce qui concerne l’opération, je préfère attendre les annonces officielles, et ne pas faire de supposition. [Mardi] le commandant de RDK a répondu dans une interview à Mark Feygin [ex-avocat des Pussy Riot et blogueur militant, NDLR] que l’opération se poursuivait. Nous attendons. Ce que nous observons, c'est que les forces russes ne sont pas préparées ni à la guerre ni à faire face à une opposition intérieure. C’est une chose que de frapper avec une matraque des étudiants et des retraités sans arme, de sortir des citoyens pacifiques de leur lit comme en 1937. C’en est une autre que de faire face à des hommes qui veulent contrôler un territoire. Il est clair également que les déclarations des gouverneurs, FSB, etc. relèvent de la pure bureaucratie.

Comment le Conseil civil et les membres du RDK voient-ils la Russie d’aujourd’hui, et celle de demain ?

Nous, la coalition du Conseil civil, considérons que la Fédération de Russie est un État failli. Et ses dirigeants des criminels de guerre et des criminels politiques. Une de nos tâches incontournables est la mise en place d’un tribunal indépendant. Nous rassemblons des éléments de preuves et préparons des actes d’accusations.

Nous considérons que toute nation a droit à l’autodétermination. Cela signifie que, par défaut, toutes les républiques et communautés régionales ou groupes ethniques sont initialement libres de choisir entre l'indépendance, la participation à une fédération ou confédération, l'autonomie, etc.

Nous sommes convaincus que les Russes en tant que nation ont également le droit à l'autodétermination. Et cela, entre autres, peut être un remède contre l'impérialisme et le colonialisme. Cependant, tout n'est pas si simple. Il y a parmi les Russes beaucoup de différences.

Vous n’avez pas de but séparatiste ?

Dans des conditions où Vladimir Poutine a déjà tout fait pour l’éclatement du pays, le séparatisme est du côté de ceux qui sont les alliés du Kremlin. Dès que Poutine disparaitra, ils se diviseront le pays en territoires à contrôler.

Comment êtes-vous financés ? Les volontaires peuvent-ils être sûrs que le RDK n’est pas un projet des services secrets – peu importe lesquels ?

Les représentants des communautés régionales, nationales ou de la diaspora nous assistent notamment financièrement. Nous collectons aussi des dons de nos soutiens. Évidemment, ce sont des financements limités et irréguliers. Qui donne tantôt 1000 euros, qui 100, qui 10 000. C’est pourquoi nous n’avons pas de campagne de promotion, de médias et que nous n’alimentons pas de blogs.

Les moyens récoltés vont à la formation, à l’équipement, etc.

Quant aux garanties, elles sont liées à notre réputation. Aucun d’entre nous n’a couru passer un accord avec l’administration présidentielle ou travaillé au Kremlin. Nos biographies sont transparentes et sans taches. Il n’y a pas de meilleure garantie.