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Francophonie: à Villers-Cotterêts où se sont nouées les noces de l’État français et sa langue

Réhabilité à coups de millions, le château royal de Villers-Cotterêts (Aisne) rouvrira ses portes en juin. Il devient désormais la Cité internationale de la langue française en référence à l’ordonnance signée dans ce lieu en 1539 rendant le français langue unique du royaume de France.  

Un Palais renaît de ses cendres… Il y a quelque chose de La Belle au bois dormant dans l’histoire de la renaissance du château de Villers-Cotterêts, arraché à l’oubli et à la ruine certaine par la volonté du prince, en l’occurrence celle du président Emmanuel Macron. 

Tout a commencé en mars 2017, lors de la première campagne électorale de celui qui deviendra deux mois plus tard le plus jeune président de France et de Navarre. La route de campagne a conduit le candidat à Villers-Cotterêts, ville natale d’Alexandre Dumas et célèbre aussi pour son château historique. 

Le château de Villers-Cotterêts entra dans l’Histoire en 1539 lorsque le roi François Ier y signa l’ordonnance baptisée du nom de la ville, rendant l’usage du français obligatoire dans tous les documents juridiques et administratifs du pays. Depuis, les siècles sont passés par là. Ce palais de la Renaissance a connu plusieurs vies, devenant successivement après la Révolution, une caserne de l’armée républicaine, un dépôt de mendicité, puis un EHPAD, avant d’être laissé à l’abandon.

Le Château de Villers-Cotterets future cité internationale de la langue française.
Le Château de Villers-Cotterets future cité internationale de la langue française. © cite-langue-francaise.fr

Selon son entourage, lors de sa visite à Villers-Cotterêts, le candidat Macron aurait été profondément choqué par l’état calamiteux dans lequel se trouvait l’édifice, pourtant inscrit au patrimoine national. Une fois élu, il émit l’idée de le transformer en une « cité internationale de la langue française », une vitrine de la francophonie. Porté à bout de bras par l’Élysée, ce projet qui relie l’histoire et l’avenir a été unanimement salué par les historiens. 

« Un coup de génie », se réjouit pour sa part le linguiste Bernard Cerquiglini (1), pour qui la décision de l'Élysée de redonner une nouvelle vie au château de Villers-Cotterêts renouvelle le mythe fondateur de la France moderne. « La France moderne est née des noces de l’État et de la langue dont le premier acte s’est joué dans ce palais Renaissance il y a cinq siècles », ajoute le spécialiste. 

Un château royal en terre picarde

L’histoire du château de Villers-Cotterêts débute en 1528 lorsque François Ier décida d’ériger un logis royal au cœur de ces terres picardes, en bordure de la forêt de Retz où il aimait venir chasser. Construit entre 1530 et 1556, l’édifice fut élevé sur les fondations d’une ancienne forteresse médiévale, et s’étend sur 95 000 mètres carrés, avec des décors somptueux dans sa partie centrale rappelant, dit-on, Chambord et Fontainebleau.

Après la mort de François Ier, la propriété du château passa à ses successeurs sur le trône de France, dont un certain Louis XIV qui l’offrit à son frère Philippe d’Orléans, à l’occasion de son mariage avec Henriette d’Angleterre. Selon les historiens, les heures de gloire de cette demeure royale datent de l’époque du Roi-Soleil. C’est dans les jardins de cette demeure Renaissance que Molière présenta en 1664 sa comédie satirique Tartuffe devant un parterre composé de Louis XIV, son frère et toute la cour qui s’était déplacée pour l’occasion.

Or, dans l’imaginaire collectif français, Villers-Cotterêts et son château demeurent moins associés aux fastes royaux qu’à la célèbre ordonnance de 1539, si étroitement liée à l’essor et l’évolution de la France et du français. Cette ordonnance est le plus ancien texte de loi encore en vigueur en France, près de cinq siècles après sa promulgation. Elle a survécu à 12 régimes successifs et ses articles portant sur le statut du français sont encore aujourd’hui régulièrement invoqués par les tribunaux de France. 

« Faict de la justice et abréviation des procès »

François Ier, Roi de France de 1515 à 1547.
François Ier, Roi de France de 1515 à 1547. © Musée du Louvre

Équivalent d’une loi constitutionnelle de nos jours, mais émanant du roi, le document en question se répartit en 192 articles dont seulement deux portent sur la question de la langue, pourtant centrale. La portée générale du document est précisée dès son titre : Ordonnances royaulx sur le faict de la justice et abréviation des procès par tout le royaume de France, soit l’amélioration du fonctionnement de la justice et la réduction de la durée des procès. 

Il faut lire l’ordonnance entre les lignes pour deviner ses enjeux réels : renforcer et élargir les prérogatives de la monarchie et limiter les pouvoirs de l’Église aux affaires religieuses. D’où dans la première partie du texte, l’obligation faite aux paroisses diverses de tenir les registres de naissance, de mariage ou de décès, mais en faisant contresigner les entrées par un notaire. 

Le ton se fait plus direct et volontaire dans les deux articles relatifs à la langue, les articles 110 et 111, qui stipulent que dorénavant les actes à portée juridique de l’administration et de la justice du royaume seront rédigés « en langue maternel français et non autrement ». Cette interdiction vise le latin, langue de l’Église, mais jugée difficilement compréhensible pour les justiciables. On ne peut nier que ces articles aient été inspirés par le souci d’une plus grande clarté dans les procédures judiciaires, mais il n’est pas certain que « le françoys, la langue du roi » prescrit dans le texte fut plus accessible aux justiciables de l’époque dont une grande majorité avaient pour langue maternelle non pas le français, mais leurs patois divers. L’intelligibilité était un prétexte pour donner force de loi au français autour duquel le souverain ambitionnait d’unifier son pays.

La démarche était osée, voire révolutionnaire, compte tenu du prestige dont jouissait l’Église dans la France de François Ier et compte tenu aussi du fait que le latin était jusque-là la langue traditionnelle des actes de justice. « Elle ne l’était pas tant que ça en réalité, car l’ordonnance de Villers-Cotterêts vient valider une situation de fait, avec les Parlements qui émettaient depuis plusieurs décennies déjà des arrêts en français ou en langues maternelles régionales », modère Bernard Cerquiglini. 

Les historiens rappellent pour leur part que François Ier n’était pas non plus le premier souverain français à publier des ordonnances appelant à remplacer l’usage du latin par le français ou d’autres langues « intelligibles » dans les procédures administratives et juridiques du royaume. L’une des premières ordonnances publiées dans ce sens date de 1490 et elle émanait du roi Charles VIII. D’autres textes suivront avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts, dont la principale originalité était d’être universelle, c’est-à-dire applicable à l’ensemble du royaume. 

Une France nouvelle

Il n’en reste pas moins que ce qui s’est joué à Villiers-Cotterêts en août 1539, n’était rien moins qu’une guerre d’indépendance qui ne disait pas son nom, mais dont l’objectif était de faire advenir une France nouvelle, dotée de sa propre idiome, sa propre littérature. Amoureux des arts, des livres et de la poésie, le souverain François Ier qui avait vu la Renaissance à l’œuvre lors de ses guerres d’Italie, incarnait cette France renouvelée dont il signa l’acte fondateur dans son beau château picard, en faisant de la langue du roi, en l’occurrence le français, la langue du droit, donc de l’État. C’était visionnaire, même si la question du statut des langues minoritaires est restée en plan.

Vue générale du château de Villers-Cotterêts au nord-est de Paris, lors des travaux de reconstruction de la bâtisse, le 21 mai 2021.
Vue générale du château de Villers-Cotterêts au nord-est de Paris, lors des travaux de reconstruction de la bâtisse, le 21 mai 2021. AFP - MARTIN BUREAU

Bernard Cerquiglini raconte que pendant la cérémonie de signature de l’ordonnance, le chancelier Poyet qui en avait rédigé le texte chuchota à l’oreille du souverain : « Sire, vous avez l’avenir dans l’esprit ! » Force est toutefois de se demander si cet avenir va jusqu’à la Cité internationale de la langue française, qui sera désormais le nouvel avatar du château de Villers-Cotterêts.

Rien n’est moins sûr, mais comme le confie le professeur Cerquiglini, « ce souverain qui a œuvré pour le rayonnement de sa langue et de son pays, n’aurait peut-être pas été choqué de voir débarquer dans son château renouvelé une langue française, certes émancipée de la France, mais mondialisée. »

(1) Bernard Cerquiglini est linguiste, professeur de linguistique et ancien recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie. Il est l’auteur d'une dizaine d’ouvrages universitaires consacrés à la langue française, parmi lesquels : Éloge de la variante (1989), La genèse de l’orthographe française (2004), Une langue orpheline (2007).