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En Moldavie, la crainte d’une déstabilisation par la Russie

En Moldavie, ancienne république soviétique aux ambitions européennes, la tension est palpable. Après un an de guerre, la solidarité des Moldaves vis-à-vis des Ukrainiens ne faiblit pas. Mais l'inflation et la hausse des prix de l'énergie font de ce pays une cible de choix d'une guerre hybride menée par la Russie pour affaiblir sa détermination.

De notre envoyée spéciale à Chișinău,

Le marché aux légumes de la place Centrale de Chișinău, au cœur de la capitale moldave, ne désemplit pas. Sur les étals, on trouve carottes, oignons, pommes de terre, ail ou encore fines herbes.

Svetlana vient ici tous les mois. Mais ces derniers temps, les prix ne cessent de grimper : « Les prix ont explosé. Exemple, le chou-fleur : il est à 60 lei, alors qu'il y a un mois, il n'en valait que 40. Les tomates, aussi. Elles étaient à 35 lei, mais aujourd'hui, on doit les payer 45. Pour m'en sortir, j'en achète moins qu'avant. »Cette traductrice de 45 ans, rentrée après quelques années vécues du Portugal, continue donc d'aller au marché. Pour soutenir les commerçants, dit-elle. Son mari, garagiste spécialisé dans les véhicules hybrides, acquiesce et lui tend un petit sac en plastique. Leur panier n’est pas bien garni, ce matin-là.

Inflation et salaires

Les affaires vont mal, soupirent les vendeurs. Mais la plupart d’entre eux refusent de commenter la situation. Une vendeuse de haricots se lance : « Les gens n'achètent plus comme avant. Les prix ont doublé, alors que les salaires et les pensions sont restés les mêmes ».

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Nous voulons savoir si malgré ce contexte difficile, elle et son mari s’en sortent. Elle répond en français : « Comme si, comme ça ». Mais au fur et à mesure de la conversation, son visage devient triste, sa voix se casse. La femme souffle : « C'est pour cela que les jeunes Moldaves partent à l'étranger. Je vous le dis, parce que mes enfants eux sont déjà partis, justement ». Ils vivent quelque part au Royaume-Uni, elle ne s’en souvient pas du nom de la ville. « Il est bon mon ail, il parfume les plats à merveille », observe fièrement cette autre vendeuse, Zinaïda. Le petit rabougri d’une couleur violette vient de la Moldavie, le gros pâle n’aurait, selon elle, aucun intérêt. Évidemment, elle le fait venir de Turquie.

Alexandre, un retraité de 70 ans, rit aux éclats, mais ses yeux sont tristes quand il évoque le montant de sa maigre pension : « Exactement 2366 lei, équivalent de 118 euros. On tire le diable par la queue, comme on dit chez nous ».

Surfer sur fond de crise économique et sociale

Le coût de la vie ? Sergei non plus n'arrive pas à joindre les deux bouts. Ce retraité de 63 ans en paraît dix de plus : « L'État est tellement loin de la réalité ». L'homme est inquiet et le fait savoir lors d’une manifestation contre la vie chère qui paralyse le centre de la capitale, ce dimanche 19 février. Le parti de l'oligarque pro-russe en fuite Ilan Şor qui organise ce rassemblement, utilise le mécontentement populaire pour réclamer la démission de la présidente. Cet homme d'affaires sanctionné par les Américains pour corruption et ingérence au profit du Kremlin est ainsi devenu la pièce maîtresse de la stratégie de déstabilisation menée par Moscou, explique Valeriu Paşa, du groupe de réflexion Watchdog. « Après la victoire des forces pro-européennes de Maia Sandu aux dernières législatives, la Russie a revu sa stratégie. Ainsi, une guerre hybride d'une intensité sans précédent a commencé contre la Moldavie. D'abord via notre dépendance au gaz russe, mais aussi par la désinformation et la propagande. Les anciens oligarques sont devenus des relais d'influence qui multiplient les manifestations bidon. Des preuves existent que Moscou finance ces partis comme elle finance aussi des médias qui lui sont favorables. Ils tiennent aux Moldaves le même discours qu’aux Russes », observe l’expert.

Propagande et désinformation

Les « fake news » ? La machine à déstabiliser est désormais bien huilée, confirme Petru Macovei. Le directeur de l'Association de la presse indépendante en donne un exemple. Un parmi tant d'autres dont regorgent les réseaux sociaux. Sur le site de l’association dédié au décryptage des fausses nouvelles, STOP FALS, le journaliste décortique une fausse nouvelle qui parle des soldats de l’Otan prétendument déployés sur le territoire national. « À cause de la guerre en Ukraine, le budget de la Défense moldave a effectivement augmenté. Mais de là à dire que la Moldavie est en train de dépenser des millions pour s'armer... C'est un mensonge. Il suffit de voir combien coûte un système de défense antiaérien. Il faudrait le budget de la Défense moldave de plusieurs années pour l'acheter ! On ne pourrait pas se le permettre. Penser que notre pays est en train de s'armer est une idiotie aux yeux de ceux qui ont le sens de l'analyse. Mais nombreux sont les gens ici qui prennent pour argent comptant ce qu'on leur dit. Ainsi, ils sont victimes de cette propagande et de la manipulation ».

Un pays déchiré entre deux visions du monde

« Il faut comprendre la spécificité moldave : un petit pays déchiré entre deux visions du monde, oriental et occidental », observe Arcadie Barbarosie, directeur exécutif de l’Institut des Politiques Publiques. Les ambitions européennes du gouvernement Sandu s’opposent en effet à cette autre vision orientale du pays qu’ont eu ses dirigeants précédents. Et notamment Igor Dodin, socialiste très proche de Vladimir Poutine. Et la Transnistrie dans tout cela ? Ce petit ruban de terre le long de la frontière ukrainienne, qui occupe un sixième du territoire national, et son contingent d’un millier et demi soldats russes qui y stationnent depuis la proclamation de l’indépendance par la Moldavie en août 1991. Plus encore que la présence de ces soldats, ce sont les dépôts d’armes et de munitions qui s’y trouvent (datant pour la plupart d’entre eux de l’époque soviétique) qui inquiètent les autorités moldaves. « Le nouveau Premier ministre, le pro-européen Dorin Recean, a été on ne peut plus clair là-dessus, il faut démilitariser cette zone. Enfin ».

Lors d'une rencontre avec Maia Sandu en marge de sa visite à Varsovie, mardi 21 février, le président américain Joe Biden a assuré son homologue moldave du soutien des États-Unis pour son pays. Et pour cause, la Moldavie craint d'être la prochaine cible du Kremlin.