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Diariata N’Diaye, des mots pour panser les maux

Depuis plus de vingt ans, Diariata N’Diaye utilise l’art et les mots pour sensibiliser les plus jeunes aux violences sexistes et sexuelles. Slameuse, autrice, entrepreneuse, animatrice, fondatrice de l’association Résonantes… Dès qu’elle tient une idée, Diariata N’Diaye se doit de la tenter. Toujours au service de la lutte contre les violences faites aux femmes, le combat de sa vie.

Quand nous arrivons dans le café parisien, Diariata N’Diaye termine un autre rendez-vous, dégaine son agenda, et prévoit déjà le prochain. « Je ne décroche jamais », avoue-t-elle avec un sourire. À 39 ans, cette mère de trois enfants déborde d’énergie. Même « fatiguée », elle arrive à prendre le temps de retracer son parcours et nous raconter son histoire.

Il faut dire, Diariata N’Diaye sait y faire avec les mots. Lors de conférences, d’ateliers, de concerts, et surtout depuis toute petite, elle est habituée à parler. Sa façon de s’exprimer ? Le slam, une poésie orale qui joue sur les rimes et les consonances des phrases. Animatrice jeunesse de formation, Diariata N’Diaye combine cette créativité musicale à ses années d’engagements pour l’égalité entre hommes et femmes.

Car pendant plus de dix ans, Diariata N’Diaye organise des ateliers d’écriture en milieu scolaire, partage sa musique, et l’utilise comme support durant des spectacles de slam pour sensibiliser les jeunes aux questions des violences faites aux femmes. Mais elle ne s’arrête pas là. En 2015, elle fonde l’association Résonantes et lance dans la foulée l’une des premières applications d’aide aux victimes de violence, baptisée « App-Elles ». « Au début, je me mettais beaucoup de pression. Maintenant, j’ai conscience que je ne peux pas tout faire, et je l’accepte. J’ai la chance de passer des bons moments dans mon travail et d’aimer ce que je fais. Parce que tout ça, c’est bien plus qu’un job. C’est toute ma vie », confie-t-elle.  

C’est pour cela que pour se présenter, Diariata N’Diaye met un point d’honneur à se définir en tant qu’ « artiviste ». « Je n’assumerais pas qu’on me qualifie simplement d’artiste. Moi, je ne distrais pas les gens. Ma créativité ne peut être qu’engagée », assène-t-elle.

La musique comme échappatoire

Diariata N’Diaye commence à écrire à partir de ses 11 ans, et très vite, découvre le pouvoir libérateur des mots. « Il m’est arrivé des trucs pas cools. Je pense que j’avais besoin d’extérioriser. Je n’avais pas d’interlocuteurs et je trouvais que c’était génial d’avoir un cahier, parce que tu écris ce que tu veux sans jugement », relate-t-elle en recoiffant ses longues tresses blondes.

Et si cet engagement contre les violences lui tient tant à cœur, c’est parce que la Française les a elle-même endurées. Née dans les Vosges, cinquième de treize enfants, Diariata se rend à ses 15 ans au Sénégal, son pays d’origine, pour la première fois. « Pour moi, j’allais découvrir mon pays. En fait, c’était mon mariage, et je ne savais pas. Je me suis retrouvée quinze jours au bled dans ce traquenard. Et la seule urgence que j’avais, c’était de rentrer, de revenir en France », témoigne-t-elle. La jeune femme ne préfère pas donner plus de détail sur cette période de sa vie. « Ce n’est pas parce que je suis engagée sur le sujet des violences que c’est facile pour moi de parler de mon vécu », indique-t-elle.

Pour elle, tout a déjà été dit dans son morceau de slam « Française d’Afrique » aux airs pop-rock, où elle décrit ses ressentis et explore le thème du mariage forcé.

« Je viens d’accepter d’épouser mon cousin

Le vrai, le fils du frère de mon père. Pour eux c’est un bon parti

Je n’étais pas partante

On dirait bien que j’suis la perdante […] Je rentre dans le cadre, je rentre dans la case

En voilà une de plus qui coche la case. »

Une de ses principales sources d’inspiration : la rappeuse française Bams, qu’elle découvre à quinze ans. « Elle a eu un réel impact sur moi, dans ma construction, dans ma réflexion. Dans son single ' Non ', elle m’a appris à dire non pour de vrai », se souvient-elle. Diariata prend alors conscience du pouvoir de la musique : celui de toucher les gens, leurs émotions, leur sensibilité. D'influencer un public. De se mettre à nu « pour permettre à d’autres de témoigner à leur tour ». Face à ce constat et une fois son bac littéraire en poche, elle obtient son BAFA puis se tourne vers l’animation auprès des jeunes. 

Devenir la « Bams » des jeunes et les sensibiliser

En 2009, après avoir été repérée par l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, Diariata crée son premier spectacle de slam, « Mots pour Maux », avec son groupe Dialem. Surprise : à la fin de sa première performance, une file de jeunes souhaitent échanger avec elle, cette femme au regard tendre et assuré qui figure comme la grande sœur que beaucoup n’ont jamais eue. « Je me dis, ça y est, je suis la Bams de quelqu’un », se remémore-t-elle. Sauf que Diariata se trouve incapable de répondre à leurs questions et de les orienter correctement. Alors, elle se forme progressivement à l’égalité homme-femme et à l’accompagnement des victimes de violence. « Au début, j’improvisais, reconnaît-elle. J’ai appris sur le terrain puis j’ai affiné ma technique en pratiquant. »

Toujours le sourire au bord des lèvres, Diariata N’Diaye met à l’aise. Tutoie immédiatement. Ponctue ses phrases d’un « tu vois ? ». Une attitude décontractée qu’elle emploie à chaque atelier d’écriture avec les jeunes. « Les adolescents sont en pleine construction, donc c’est possible d’avoir un impact positif sur eux. Il y a tellement de gens qui ont une mauvaise influence sur les jeunes que je ne peux pas leur laisser toute la place », assure-t-elle avec espièglerie.

Ainsi, à travers ses rencontres avec les enfants, Diariata incarne cette figure d’adulte bienveillante qu’elle n’a jamais connue. « En réalité, tout ce que j’ai fait, c’est parce que j’aurais moi-même aimé recevoir les conseils que je donne aujourd’hui aux jeunes. » Avec eux, elle crée un cadre de confiance, témoigne de son parcours, se réjouit du lien créé entre les élèves et les laisse entièrement libre du contenu de leurs textes. 

Entrepreneuse et créatrice de l’application « App-Elles »

Son association Résonantes voit le jour quelques années plus tard, portée par la détermination sans faille de sa fondatrice. « Quand je crée un truc, c’est parce qu’il n’existe pas et qu’il y a un besoin du public. » Diariata élabore un site d’information dédié aux jeunes, conçoit des supports pour ses interventions sur les violences sexistes et sexuelles, et organise des groupes de parole, des expositions, des ateliers… « Notre rôle chez Résonantes, c’est de s’adapter au public jeune, à leurs contraintes, et de trouver un moyen de les atteindre », précise-t-elle.

En parallèle, la Française plonge la tête la première dans le monde de la tech, avec la création de l’application « App-Elles ». Cet outil gratuit vise à faciliter les démarches des victimes de violence et de leurs proches, et « de gagner du temps », souligne Diariata. L’application détient une fonctionnalité d’alerte qui permet de prévenir trois contacts de confiance choisis au préalable en cas de danger. « Une fois alertées, ces personnes entendent en direct ce qu’il se passe et ont le suivi GPS en temps réel. Elles peuvent ensuite aider la victime », détaille la fondatrice.

Sauf que créer une application se révèle être un parcours du combattant, et ça, Diariata l’a vite compris. « Je ne m’attendais ni à ce que ce soit si compliqué et si cher, ni à ce qu’il y ait autant de blocages dans le monde associatif à cause de la défiance vis-à-vis de la tech ! », s’exclame-t-elle. Alors Diariata développe une stratégie. Elle présente son projet à de nombreux concours. Et sa « bonne idée » est récompensée : App-Elles remporte 27 prix en huit ans, deux « Innovation Award » au CES de Las Vegas en 2019, puis en 2023, et obtient des dotations financières. En 2022, l’application compte plus de 92 000 utilisateurs et 29 000 alertes émises.

Un combat au service des autres

Depuis le lancement d’App-Elles, Diariata a écrit un livre pédagogique en slam sur le harcèlement scolaire - Arsène et Marcelle me harcèlent -, à destination des enfants, des parents, et des enseignants. Elle a intégré la commission des violences faites aux femmes du Haut Conseil à l’Égalité en juin 2022, et continue sans relâche à pousser pour plus d’actions contre tous les types de violences.

Au fil des années, Diariata est restée audacieuse dans son engagement. Tenace. Sincère. « J’ai besoin de voir du concret, des victoires, sinon ce combat devient trop déprimant. Et je le vois tout le temps. Rencontrer une personne qui témoigne des violences qu’elle subit pour la première fois, c’est déjà une réussite. Rien que ça, ça me suffit. »

Quand on lui demande si elle est fière du chemin parcouru, Diariata rétorque sans hésitation : « Je n’ai aucune fierté personnelle par rapport aux actions que je mène. Tout ce que je fais, c’est pour la cause, pour les victimes. Mais en revanche, je suis fière de n’en avoir fait qu’à ma tête, d’être allée au bout de mes idées, d’avoir été têtue. » Ses prochains projets en cours : étendre Résonantes à New York et développer les services proposés par App-Elles.

Aujourd’hui, Diariata N’Diaye continue d’écrire. Son prochain morceau, « Dick-sa », s’adresse directement aux auteurs de violences. La première personne à qui elle a fait écouter la nouvelle chanson est son grand frère, avec qui elle rappait petite. Mais cette gamine qui griffonnait des cahiers entiers de texte a bien grandi, et appris. Malgré tout, s'il y a bien une chose que Diariata N’Diaye gardera toujours en elle, c'est ce besoin viscéral de mettre ses pensées sur papier.