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Bataille de Bakhmout: «La guerre d’attrition est toujours plus favorable au défenseur qu’à l’assaillant»

L’armée ukrainienne veut « renforcer » ses positions à Bakhmout, réfutant les spéculations sur un retrait face aux troupes russes. Selon un communiqué de la présidence ukrainienne, rendu public ce lundi 6 mars, les commandants en chef des forces ukrainiennes se sont prononcés « en faveur de la poursuite de l’opération défensive ». Jusqu’où les Ukrainiens sont-ils prêts à aller pour défendre la ville ? Entretien avec Thibault Fouillet, expert en stratégie militaire à la Fondation pour la recherche stratégique.

RFI : Quel est l’objectif des Ukrainiens à Bakhmout : tenir à tout prix ou effectuer une retraite ordonnée, à temps pour éviter l’encerclement ? 

Thibault Fouillet : Il n’est pas possible de connaître les intentions de leur état-major, mais il est probable que les Ukrainiens préparent une retraite progressive, c’est ce qui paraîtrait logique et rationnel. En effet, l'encerclement serait désastreux non seulement à cause des pertes d'hommes et de matériel, mais aussi par ce que cela implique en termes d'image et de traumatisme, ce qu'on a vu par exemple à Marioupol. Et puis cette logique des retraites effectuées « au dernier moment » a déjà été mise en œuvre à deux reprises durant le conflit, et des deux côtés. Les Russes ont fait la même chose à Kherson et les Ukrainiens l’ont déjà fait quand ils défendaient la poche de Severodonetsk-Lyssytchansk. 

L’objectif serait donc d'éviter un effondrement tout en continuant à épuiser les forces russes ?

C’est devenu l’objectif. Mais ce n’était pas le but initial puisque Bakhmout n’a pas d'intérêt stratégique fondamental.  C'est devenu un enjeu parce que c’est la seule zone où les Russes pouvaient avancer, et où ils ont appuyé leurs efforts. Et donc les Ukrainiens ont répondu en essayant d'épuiser leurs capacités le plus longtemps possible, et de refaire ce qui s'était passé avec le saillant de Severodonestk. 

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Si elle advient, la chute de Bakhmout sera-t-elle un moment clé dans le conflit ?

Ce ne sera pas un moment clé pour deux raisons. D’abord parce que la caractéristique de ce conflit, c'est bien d’être une guerre d'attrition qui prend du temps… Et même les succès les plus notables, comme la reprise de Kherson et la percée de Kharkiv, n’amènent au mieux qu'une avancée opérationnelle et non pas un effondrement de l'adversaire.

Ensuite parce que la prise de Bakhmout n’a qu’un intérêt limité du fait de la topographie et des contraintes géographiques. Après Bakhmout, les Russes se heurteront à d’autres aires urbaines et ne vont aller que d’un point à l’autre.  Donc, ce sera un gain politique pour les Russes qui vont l’instrumentaliser pour en faire une grande victoire, mais ce ne sera en aucun cas quelque chose de vraiment décisif en termes opérationnels. 

Vous dites que Bakhmout permet aux Ukrainiens d'épuiser les forces russes, mais l'inverse est également vrai : les Ukrainiens eux-mêmes s'épuisent à Bakhmout ?

Bien sûr, c’est valable pour les deux côtés et c’est ce qui caractérise une guerre d’attrition. Mais l’épuisement est toujours favorable à celui qui défend, et défavorable à l’assaillant. De ce point de vue, la comparaison avec Verdun est pertinente, car durant cette bataille de la Première guerre mondiale, les Allemands comme les Français ont eu un épuisement en matériels et en hommes. Mais l’avantage est allé tout de même au défenseur, car cela a permis de briser l’élan offensif de l’adversaire. C’est ce que cherchent les Ukrainiens à Bakhmout : épuiser suffisamment les Russes pour qu’ils ne puissent pas enchaîner sur le coup suivant. 

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Depuis le 24 février et le début de l’invasion, on a observé un mouvement de balancier : une série de gains russes, puis une contre-offensive ukrainienne. Va-t-on vers un scénario similaire à Bakhmout ? 

C’est difficile à dire, mais ce qui est sûr, c'est que cette idée est présente dans la rhétorique ukrainienne. Après l’offensive russe de février-mars viendrait une offensive du printemps menée par l’Ukraine… Et cette dialectique a plutôt été favorable aux Ukrainiens, on l’a vu avec Kherson et Kharkiv. Je ne sais pas si cela se traduira en termes opérationnels, mais dans la rhétorique, on est bien dans ce cas de figure : les Russes à l’offensive, et les Ukrainiens qui privilégient ou qui planifient déjà une contre-offensive pour les mois suivants.  

La bataille de Bakhmout est aussi un enjeu de pouvoir au sein-même du camp russe, entre les mercenaires de Wagner et l’armée conventionnelle ?

On le voit bien dans les frictions en termes de communication, qui ont été très vives, en particulier durant les batailles de Soledar et maintenant de Bakhmout. Avec Wagner qui annonce certaines avancées qui sont ensuite démenties par l’armée conventionnelle. Et lorsque Wagner annonce des gains, on comprend bien la frustration que cela suscite au sein de l’armée russe, puisque l’appui lourd est bien sûr de son fait, et non pas de Wagner. On constate même des frictions opérationnelles, un manque d'intégration, et de coopération directe. Donc, bien entendu, il y a un enjeu politique et il y a une guerre d'influence politique, au sein-même des forces russes qui se battent dans cette zone.   

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