Abengourou, sept 2023 (AIP) – D’un naturel mécène, Frotomougou, à l’état-civil Oumarou Savadogo est un poète, écrivain et conteur ivoirien. Marié, père de deux enfants, cet autodidacte et passionné de l’art a également pour nom d’auteur, Tonton Ratiti.
Connu pour son timbre vocal rassurant, « Sankofa » ou retour aux sources, est présent sur les scènes culturelles nationales et internationales. Dans sa tenue vestimentaire « Gandhi », l’homme de taille moyenne, teint noir, âgé de 66 ans, indique son choix pour la paix comme préalable à toute chose.
Sa contribution à la valorisation de la culture lui a valu plusieurs distinctions dont le prix d’excellence Art et culture au Festival international de théâtre et d’arts plastiques (FITAP) au Togo en 2019 et fait de lui ambassadeur de la paix la même année en Côte d’Ivoire. Conseiller à la vie-scolaire, chargé de la promotion des arts culturels au ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation, il est désormais à la retraite. Il parle de son parcours scolaire et professionnel, de son métier d’enseignant, exprime sa passion pour l’art. Il donne son avis sur la culture et sa vision de la vie.
Origine des pseudonymes
« Frotomougou, c’est le nom artistique et Tonton Ratiti, c’est le personnage du conte », explique le poète conteur. Frotomougou en langue Malinké veut dire « piment en poudre ». Le nom lui a été donné suite à une bagarre qui date de très longtemps entre bandes rivales d’adolescents. « Je vivais au quartier Dioulakro à Abengourou. Et avant, on aimait se battre dans les quartiers. Les bagarres entre jeunes des différents quartiers », explique Frotomougou. Un jour, alors qu’il avait quitté son quartier, il tombe dans une embuscade au quartier Agnikro. Il se fait laminer dans un bas-fond. « Et la prochaine fois, j’ai préparé du piment en poudre que j’ai mis dans mes poches et quand je suis parti, qu’ils m’ont croisé, j’ai eu le dessus parce que j’ai mis le piment dans les yeux. Et le nom est venu comme ça », raconte Frotomougou,
« Je préfère me faire appeler Tonton Ratiti avec les enfants parce que dans le conte, Ratiti, c’est le royaume des rats. Il y a Ratiti, Ratoto, Ratata et le plus connu, c’est Ratiti. Je préfère donc que les enfants m’appellent Ratiti », se justifie Oumarou Sawadogo, estimant que pour les enfants, « Frotomougou, c’est pimenté, c’est un peu trop méchant, c’est pourquoi je préfère que les enfants m’appellent Ratii ».
« Sankofa » ou retourne pour prendre, ou tout simplement retour aux sources, est aussi son nom. « J’ai tiré ça du professeur Gnangoran Boa », un ethnomusicologue ivoirien fondateur de la « Drummologie » qui est l’étude des instruments parleurs de musique. Il explique que « Sankofa », c’est l’oiseau qui retourne chercher sa nourriture. « Etant à la retraite, je suis revenu à Abengourou me ressourcer et c’est pourquoi j’ai aussi adopté le nom Sankofa ».
Le cursus scolaire et professionnel
Né le 08 mars 1957 à Apprompronou, dans le département d’Abengourou, Oumarou Savadogo commence l’école primaire en 1965. Le collège en 1972 à Abengourou où il obtient le Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) en 1976 et deux ans après, il se retrouve dans l’enseignement. Il obtient son Certificat d’aptitude pédagogique (CAP) en 2008.
Quarante années de carrière professionnelle de 1977 à 2017
Enfant, il a toujours aimé l’enseignement à cause de son maître de CP1 qui lui avait donné « le goût ». Au CP1, déjà, il récitait et retenait beaucoup ses leçons. « Et mon maitre m’a dit +mon petit, si tu vas à l’enseignement, tu vas réussir+ ». En classe de Troisième, il découvre son talent de dessinateur avec son professeur d’histoire – géographie Charles Bieth. « Je dessinais quand j’étais au collège. Et après la classe de Troisième, je voulais aller aux Beaux-arts et je me suis retrouvé à l’enseignement », fait savoir Frotomourou. « Au départ, vraiment, je n’étais pas très content, mais mon professeur de Français, Ouattara Largaton, m’a encouragé d’aller enseigner et que si j’avais le virus de l’art dans mon corps, il va me rattraper. Voilà comment je suis venu dans l’enseignement, en tant qu’instituteur », explique Tonton Ratiti.
Il commence comme instituteur bénévole à Abengourou à l’école Mission puis, il est recruté le 22 novembre 1979 comme instituteur temporaire dans « une école déshéritée» à Hyré, dans la région de Tabou à la frontière du Liberia. « C’est à pirogue que j’allais à l’école. On avait cet engagement », fait observer l’homme. Il fut le premier directeur de l’EPP Néro, toujours dans le département de Tabou en 1981. En 2008, il est nommé conseiller extra-scolaire.
Une anecdote marque sa carrière d’enseignant
Alors enseignant à Ibogué, dans la région d’Issia, « je tenais une classe de CP1 et je donnais chaque jour du « Wonmi » (beignet de mil) à chacun de mes élèves, qui arrivait à l’heure et les enfants arrivaient toujours à l’heure. A la rentrée suivante, le directeur me demande de tenir encore la classe de CP1. Je retrouve dans une classe de CP1 bondée. Mes élèves de CP1 admis pour le CP2 refusent de partir. Ils disent vouloir rester encore au CP1 avec moi parce qu’avec moi, ils auront des Wommi. Il a fallu qu’un enseignant accepte de prendre le CP1 pour que je puisse rejoindre mes élèves au CP2 », relate l’enseignant.
Ce qui intéressait ces élèves, ce n’était pas le niveau de la classe, mais la personne du maitre. « C’était émouvant », fait-il observer. Lui qui connaissait les parents de chaque élève, allait parfois chercher les élèves qui faisaient l’école buissonnière pour les ramener en classe. Nombreux de ces élèves, dit-il, ont réussi aujourd’hui leur vie. « La leçon à tirer, c’est de motiver tous les enfants, connaitre les parents pour mieux les former », conseille l’enseignant.
Non-fumeur, sans alcool, ni stupéfiant, à 66 ans, l’homme respire la forme. Grand supporter du Stade d’Abidjan, il fut un grand sportif. Ancien gardien de but du lycée d’Abengourou puis de l’équipe Benfica d’Abengourou, Frotomougou a pratiqué presque tous les sports. Il fut gardien de but de handball, coureur de cross-country, champion de Côte d’Ivoire OISSU aux 5000 mètres au Lycée de Dimbokro en 1976. Ceinture rouge Taekwondo, il a pour maitre, l’actuel président de la Fédération ivoirienne de Taekwondo, Siaka Minayaha Coulibaly. « J’ai toqué tous ces titres avec l’art », avoue-t-il, tout souriant.
Rattrapé par le virus de l’art
Et en tant qu’instituteur, il faisait de l’animation dans les écoles. Dans sa mission d’éducation et de formation, Frotomougou a toujours donné une importance à la vie scolaire. « Parce que c’est une entreprise complémentaire du volet pédagogique qui permet à l’enfant d’acquérir le savoir, le savoir-faire et le savoir-être, qui sont porteurs de valeur morale, humaine, sociale, culturelle, intellectuelle, valeur entrepreneuriale et spirituelle », a-t-il fait savoir.
L’inspecteur Gbangbo Konan le découvre un jour dans le village de Languibonou (Bouaké) alors qu’il prestait lui et ses élèves lors d’un concours de poésie qu’il avait organisé sur le lait maternel. Il sera par la suite affecté à l’inspection primaire de Gonvreville à Bouaké pour diriger la cellule artistique et culturelle au niveau de l’enseignement primaire. « Cette nomination demeure le beau cadeau de toute sa carrière d’enseignant », avoue l’artiste.
Après 40 ans passés à l’Education, Frotomougou est aujourd’hui à la retraite. Il a décidé de continuer de toujours vivre de son art et d’apporter un plus en essayant d’aider l’Education nationale dans sa mission de formation.
Il commence à écrire déjà en classe de 4e.. L’homme de culture n’a jamais fait une école d’art. « J’ai appris sur le tas, mais j’ai côtoyé des grands hommes d’art comme Bienvenu Neba, Bitty Moro, Guédéba Martin, pour apprendre. J’ai écouté les conseils. Je me suis inspiré de Sidiki Bakaba et Bomou Mamadou, mon maître. J’ai suivi aussi des formations », confie le poète écrivain.
Enfant, sa formation a débuté depuis le village avec le conte. « Le conte, c’est la première école de la vie qui nous permet d’éduquer les enfants, mais d’éduquer aussi les adultes. Nous avons été tous éduqués par le conte », dit-il. Pour lui, le conte est un art complet « où on trouve tout dedans » parce que dans le conte, « vous avez le théâtre, la poésie. Vous avez le mime, la danse, la chanson ».
Adepte des proverbes, il estime que ces formules langagières contenant une morale et des expressions de sagesse sont indispensables. « Ils soutiennent ce que l’on dit et donnent une explication à ce que l’on dit ».
Sa vision de l’art et de la vie
Il dénonce « le prisme » sous lequel l’artiste est vu aujourd’hui par une certaine catégorie de personnes. « Je ne sais pas si je suis incompris, mais aujourd’hui, sous les tropiques, quand vous n’êtes pas un Disque Joker (DJ), si vous ne faites pas du bruit, du tintamarre, vous n’êtes pas un artiste, mais moi, j’ai fait un choix, mon choix, c’est de sensibiliser, d’éduquer, et de donner ce que j’ai appris par la parole avec l’art de l’oralité », soutient-il.
Au commencement était la parole, rappelle le conteur. « Que les gens ne se penchent pas seulement sur ceux qui font la musique », conseille le parolier. Il souligne que le peintre, le sculpteur, le poète, le conteur, sont aussi des artistes et doivent tous être logés à la même enseigne. « Qu’on fasse la promotion de nos œuvres qui demeurent. Après les bruits assourdissants, qu’est-ce que les gens retiennent après, or nos œuvres restent », fait remarquer l’artiste.
Auteur d’un recueil de contes
Pris de passion pour le conte depuis le bas âge, l’artiste préconise la promotion du conte, est un moyen didactique qui permet également de stimuler l’imagination. Son premier livre est intitulé « Les contes de Tonton Ratiti », paru à la maison d’édition JD Edition, à Abidjan en 2022. C’est un recueil de quatre contes écrits dans un style simple et accessible à tous. La cohésion sociale, la protection de l’environnement et la discipline sont les thèmes clés abordés par l’auteur. Le livre a été présenté au Salon international du livre d’Abidjan (SILA) 2023. « Mon livre s’est très bien comporté », confie l’auteur qui promet le deuxième tome pour très bientôt.
Oumarou Savadogo estime qu’il faut créer des supports à travers les petites histoires pour amener les enfants et les gens à lire afin de découvrir le monde et s’éduquer soi-même. « La lecture est la mère des sciences, un peuple qui ne lit pas, n’est pas curieux, un peuple qui n’est pas curieux ne découvre pas, un peuple qui ne découvre pas ne se développe pas…. », rappelle l’homme de culture, citant « le maitre » Amadou Hampâté Bâ. Il poursuit avec Victor Hugo « Lire, c’est comme manger et boire … un esprit qui ne lit pas maigri comme un corps qui ne mange pas ».
Il soutient que la lecture est thérapeutique, elle permet d’avoir un vocabulaire soutenu et d’éviter le stress. L’amoureux du livre a décidé de transmettre le virus de l’art à ses enfants. « Je suis en train de former mes propres enfants au métier de l’art. Comme le dit un auteur français, +le savoir n’est pas une fin en soi. Il n’a d’intérêt quand il devient un outil de communication et d’action+ ».
Respectueux de la vie, Frotomougou est un homme ouvert et humble, témoigne son entourage. Il voue un profond respect à la femme qui demeure pour lui, un mystère. « Elle est le symbole de la fertilité, de la maternité, de la virginité, la femme reste toujours un mystère, il faut la respecter », dit-il.
Croyant et pratiquant, « je suis persuadé qu’il faut avoir un degré important de spiritualité pour comprendre sa propre religion » soutient l’homme de foi. Dans le livre L’Etrange destin de Wangrin, d’Amadou Hampâté Bâ, qu’il a étudié au CAP, il dit retenir cette phrase: « la vie est une cité où personne ne sortira vivant, elle nous frappera tous bons ou mauvais, riche ou pauvre ». Homme de vérité, Frotomougou a en horreur, l’hypocrisie et les retards. Pour lui, tout homme doit savoir saluer, savoir dire merci et savoir demander pardon. Accroc de la lecture, il lit beaucoup, surtout les livres ésotériques et des livres de développement personnel. Principalement « Le testament philosophique du 20e siècle » du Français Roger Garaudy qu’il conseille aux lecteurs.
Manque à son arc à plusieurs cordes, le pendentif de reconnaissance nationale
Après quatre décennies, l’homme garde un très bon souvenir de l’Education nationale où il a passé presque toute sa vie et avec ses anciens élèves. Au niveau de l’art, « on me rend bien, je vis de mon art, l’art n’a pas de prix. Je suis payé humainement parce que les relations humaines, c’est déjà quelque chose, c’est de la richesse », affirme l’artiste. L’ambassadeur de la paix a beaucoup voyagé à travers le monde, rencontré des personnalités et complimenté. « J’ai été reçu par l’empereur des Mossi le Moro Naba parce qu’il m’a vu à la télévision en train de prester lors d’un spectacle au Burkina Fasso », se réjouit-il. « J’ai eu des diplômes de participation, mais je n’ai pas encore cette marque sur mon épaule. Je n’ai pas encore été décoré. J’ai besoin de ça pour l’accrocher dans ma maison », confie l’homme de culture. Sans vouloir forcer le destin, il espère qu’à défaut de la médaille de reconnaissance au plan national, sa ville natale Abengourou pourrait bien l’honorer et le distinguer un jour parmi les lauréats» .
(AIP)
Portrait réalisé par Marcel N’Gbesso
nam/cmas