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Ukraine: «Le 24 février, nos vies venaient de brusquement changer»

Le 24 février 2022, le jeune violoncelliste ukrainien Aleksei Shadrin était de passage chez lui à Kharkiv dans l'est de l'Ukraine. Dès les premières heures de l'invasion russe, son objectif a été de regagner Bruxelles où il devait finir de préparer le prestigieux concours musical Reine Elisabeth. Entretien. 

RFI : Que faisiez-vous en Ukraine le 24 février 2022 ?

Aleksey Shadrin: Je suis parti en Ukraine pour y donner autant de concerts que possible, me familiariser avec mon instrument sur scène, face au public. Tous mes amis, à la Chapelle à Bruxelles, Bruno Monsaingeon à Paris, m'avaient un peu suggéré de renoncer à ce déplacement. Mais je ne voulais pas rester en Belgique et ne faire que répéter, alors je suis d'abord arrivé à Kiev le 20 février, où j'ai donné plusieurs cours à des étudiants du conservatoire, c'était un très bon moment, puis j'ai regagné Kharkiv, ma ville natale. Le 23 février, j'ai répété du Tchaïkovski avec l'orchestre de Kharkiv en vue d'un concert le lendemain, le 24... Je ne m'attendais à rien de particulier, j'avais un peu interrogé les gens à Kharkiv, et personne ne semblait rien voir venir, tout allait bien en fait. Mais le 24 février, à 4h du matin, ils ont commencé à bombarder, et bien sûr tout le monde s'est réveillé, c'était la panique totale ! Nos vies venaient brusquement de changer.

Avez-vous immédiatement songé à partir ?

Il y avait ma mère, ma sœur, et on ne savait pas quoi bien faire. On se demandait comment s'enfuir, parce que l'immeuble était en train de trembler. Pour moi, l'enjeu principal était de traverser la frontière. Mais il n'était pas envisageable de conduire une pareille distance, plus d'un millier de kilomètres. Et si quelque chose devait m'arriver, c'était très embêtant pour mon violoncelle, l'assurance n'aurait certainement pas fonctionné vu que le pays était en guerre. Mais ma mère m'a dit de partir et c'est ce que j'ai fait. J'ai conduit pendant une centaine de kilomètres et cela m'a pris six heures, tellement il y avait de trafic, des gens partout qui marchaient le long de la route, parce qu'ils n'avaient que leurs jambes pour s'enfuir.

Vous aviez un plan particulier pour quitter le pays ?

J'ai appelé un bon ami musicien qui se trouvait plus à l'ouest, à Lviv, on a convenu que j'allais le rejoindre. Mais j'en ai eu pour trente six heures de route, quasiment sans dormir, car il n'y avait aucun endroit où aller se reposer. Avec lui, nous avons donc fini par trouver un point de chute en se rapprochant de la frontière, une petite location où nous sommes restés un mois. Jusqu'à ce qu'un ami nous demande si nous étions prêts à partir. Je savais ma mère et ma sœur désormais en sécurité en Espagne. Moi, il me fallait à tout prix partir pour rentrer en Belgique, en plus j'étais totalement inutile en restant en Ukraine. L'armée n'avait pas besoin de moi, les centres de recrutement étaient archipleins du fait de la mobilisation générale. 

Dans quelles conditions avez-vous fini par quitter l'Ukraine ?

La nuit avant le départ, on a organisé avec des amis musiciens un petit concert à Novhorod. On a joué du Bach, des sarabandes, c'était très particulier, parce que l'on savait que le lendemain on allait sortir du pays. Et on ne savait pas et on ne le sait toujours pas d'ailleurs, quand est-ce que nous serions capables de revenir. C'était très émouvant, les gens pleuraient parce qu'ils n'avaient plus entendu de musique depuis le début de la guerre. Le lendemain matin, on s'est levé à 3h30, et on est parti dans un convoi de deux voitures, dont la mienne avec mon violoncelle dans le coffre. En tout, nous étions huit musiciens. Il n'y a pas eu de problème à la frontière, ils ont bien compris que nous étions musiciens. Chacun a montré son passeport et ensuite la barrière s'est ouverte. En passant la frontière vers la Pologne, c'était comme s'envoler sur la planète Mars. Soudain, j'étais libre, soudain, j'étais de retour dans la civilisation. 

Finale 2022 du Concours Reine Elisabeth à Bruxelles où Aleksey Shadrin a été récompensé comme 4e lauréat.

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