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Taxer les ultra-riches: «Il est temps d'entamer une vraie réforme des règles fiscales internationales»

Mardi 14 mars, à l’initiative de l’eurodéputée Aurore Lalucq et de l'économiste Gabriel Zucman, une tribune a été publiée pour réclamer la mise en place d’une taxation pour les ultra-riches au niveau international. Signée par plus de 130 députés européens, des économistes à la renommée mondiale, des ONG, des syndicats, mais aussi des milliardaires, cette tribune appelle à un système qui ressemblerait à celui mis en place pour taxer les multinationales.

Entretien avec Manon Aubry, élue européenne de la France Insoumise, et coprésidente du groupe confédéral GUE/NGL au Parlement européen.

RFI : Quel est le but de cette tribune ?

Manon Aubry : À l'heure où les États européens et les autres pays du monde cherchent des ressources financières, à l'heure où des États comme la France préfèrent faire travailler deux ans de plus 60 millions de Français plutôt que de mettre à contribution une toute petite poignée de milliardaires, l’enjeu de cette tribune est de dire : ce n’est pas une fatalité si les plus grandes fortunes du monde entier ne payent que 0,001% d'impôt quand n'importe quel citoyen paye plus que quelques dizaines de pour cent d’impôts.

L’enjeu est donc de voir notre capacité à se mettre d'accord pour mettre en place un nouvel impôt sur les grandes fortunes mondiales, de la même manière que ce qui a été fait en matière de règles fiscales pour les multinationales. On est loin d'avoir terminé le travail du côté des entreprises, mais on a eu quand même le mérite de se mettre d'accord sur un taux minimum international de 15%, trop bas à mon avis [taxe adoptée par l’UE le 15 décembre 2022, qui doit entrer en vigueur fin 2023, NDLR]. Il fait néanmoins la démonstration qu’il est possible d'arrêter cette course à la concurrence fiscale.

Rien qu’au niveau européen, ça semble compliqué à mettre en œuvre ?

L'idée est de lancer le sujet et d'entamer ce processus. Et je pense qu’en parallèle de cette procédure internationale, il faudrait que quelques États pionniers mènent la voie en adoptant une forme d'impôt universel qui permette de couper l'herbe sous le pied à ceux qui pratiquent l'évasion fiscale.

L'Union européenne pourrait prendre une initiative en la matière, car elle a un rôle majeur à jouer dans la lutte contre l'évasion fiscale. Elle abrite elle-même un certain nombre de paradis fiscaux, donc il faudrait qu'il y ait des Européens moteurs, la France pourrait en faire partie, qui proposent au niveau européen un nouvel accord de taxation des grandes fortunes. On parle ici d'un impôt mondial de 1,5% sur les grandes fortunes. L’idée, c'est qu’on récupère un minima, une partie de la somme immense qui manque chaque année. On estime qu’entre les individus et les entreprises, l'Union européenne perd chaque année en moyenne à peu près 1 000 milliards d'euros. Il est temps de ramener la machine dans l'autre sens et d'entamer une vraie réforme des règles fiscales internationales.

Qui profiterait de cette manne financière par la suite et comment tout cela serait géré ? 

Au niveau de la fiscalité des multinationales et du nouvel impôt international, il s’agit de règles communes qui ont été mises en place, et ensuite, chaque État récupère sa part du gâteau. L'objectif est de mettre en œuvre un impôt sur les grandes fortunes au fonctionnement similaire. La France récupérait une bonne partie de la fortune qu'elle ne récupère pas aujourd’hui. L'Union européenne en tant que telle a aussi des impôts au niveau européen. Il y a déjà des levées d'impôts qui sont ensuite redistribuées à chaque État membre en fonction de leur poids économique. La question « où iraient ces recettes ? » est donc finalement une question assez facile à traiter. L'enjeu est plutôt : « est-ce qu'on est capable de se mettre d’accord sur des règles communes pour faire en sorte que les grandes fortunes, au niveau international, arrêtent de se moquer des règles fiscales et de payer le moins d'impôts possible ? »

Au moment où l’on a débattu de la taxation sur les superprofits au niveau européen, nous avions proposé, avec l'ensemble des groupes de gauche, une taxation sur les particuliers. À l'heure où l'Union européenne se pose la question du remboursement de son plan de relance européen, il y aurait des moyens assez faciles de le financer avec cette taxation sur les particuliers. Ça a toujours été rejeté jusqu'à présent. Il y a donc une bataille politique à mener au Parlement européen, notamment pour interroger et interpeller le groupe Renaissance dans lequel siègent les élus de la majorité macroniste au Parlement européen, qui veulent prendre une initiative de taxation des fortunes, mais qui ont toujours voté contre quand il s'agissait de la matérialiser concrètement. Il y a aussi une bataille culturelle à amorcer, à travers les opinions publiques, dans un contexte de crise économique. C'est le moment ou jamais de relancer ce débat.

► Consulter la tribune sur la taxation des ultra-riches

Philip Lane, chef de la Banque centrale européenne, suggère lui aussi de taxer les ultra-riches

Les signataires de cette tribune appellent l’OCDE et les Nations unies à entamer des négociations sur cet impôt. Et en effet, l’idée de taxer les ultra-riches et les superprofits n’est pas nouvelle et continue de faire son chemin. Si la France peine à s’accorder sur ce débat depuis plusieurs mois, à l’étranger, la mesure trouve des soutiens… quelque peu surprenants.

En septembre 2022, Philip Lane, qui n’est autre que l’économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE), s’est prononcé en faveur de la taxation des plus hauts revenus, pour financer les aides aux plus précaires face à l’inflation. Dans un entretien au quotidien autrichien, Der Standard, le 27 septembre 2022, le haut responsable de la BCE, qui a pour mission principale de maintenir la stabilité des prix, a affirmé que « les gouvernements devraient soutenir les revenus et la consommation des ménages et des entreprises qui souffrent le plus ».

Sa solution ? « Cela pourrait prendre la forme d’une hausse des impôts sur les hauts revenus ou sur les industries et les entreprises qui sont très rentables malgré le choc énergétique. » Puisque comme le justifie Philip Lane, « si vous aidez les personnes dans le besoin et que vous financez cela en augmentant les impôts, cela a moins d’effet sur l’inflation que si vous augmentez les déficits publics », poursuit-il. Une prise de position inattendue vu son émetteur, mais qui prouve bien l’ampleur que prend le débat sur la fiscalité des riches. 

Déjà lors des discussions lancées sur la taxation des superprofits en septembre 2022, la France demeurait frileuse sur la question, en comparaison avec ses voisins européens italiens, allemands ou espagnols. Aujourd’hui, le gouvernement français reste toujours divisé sur la question de la taxation des plus grosses fortunes. Reste qu’en plus de Philip Lane, plusieurs millionnaires, présents à Davos en janvier 2023 ou signataires de la tribune publiée ce mardi 14 mars, ont déjà formulé leur accord pour être davantage taxés.

RFI