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Laurent Malterre, la fibre de l'innovation dans un secteur sinistré

L’entreprise Malterre, en Picardie, tricote du fil pour en faire du tissu. Après son grand-père, puis son père, Laurent Malterre l’a reprise dans les années 1980, en pleine vague de délocalisations. Grâce à son esprit innovant, et à des paris risqués, l’entrepreneur est devenu aujourd’hui l’un des maillons essentiels du « Made in France ».

Comme chaque matin, Laurent Malterre est allé boire un café dans le bar du coin, à Moreuil. Un rituel, dans ce village picard où il est né, tout comme avant lui, « son arrière-grand-père, grand-père et père ». Mais depuis quelque temps, l’agenda de l’entrepreneur de 65 ans est moins rempli, il passe la main « tout doucement » à l’un de ses fils. Et il prend le temps de regarder le passé. L’industrie textile, c’est l’histoire de sa famille. Son grand-père confectionnait des tee-shirts. « En 1940, il a refusé de collaborer avec les Allemands et a été déporté, je ne l’ai pas connu ».

Après la guerre, son père, Louis Malterre, reprend l’usine et fabrique des maillots de bain. « Il était le troisième producteur français, 300 personnes travaillaient pour lui ». Mais dans les années 1975, l’industrie textile en France, et particulièrement dans le nord où elle est très implantée, subit de plein fouet les délocalisations, d’abord au Maghreb, puis en Asie. Les usines se vident, celle du père de Laurent Malterre n’y échappe pas. « Je l’ai vu monter une belle entreprise, j’y travaillais tous les étés étant ado, et puis je l’ai vu plonger ». Un traumatisme qu’il se souvient avoir vécu en rentrant de son service militaire.

Sortir du cadre

Laurent Malterre a alors une vingtaine d’années, un diplôme de finance comptabilité comme bagage, et quelques machines de l’usine de son père qui n’avaient pas trouvé preneur. Sans idée précise sur ce à quoi allait ressembler son avenir, il décide de relancer l’entreprise « totalement à contre-courant » et commence à tricoter des tissus pour faire des pyjamas, « un petit marché pour survivre, avec une bonne dose de bidouille ». Tout cela, malgré les mots de son père, « le textile, c’est foutu ». Si le sexagénaire peine à expliquer aujourd’hui pourquoi il s’est lancé dans cette reprise, a priori voué à l’échec, il lâche : « J’ai toujours eu une nature à sortir du cadre, à l’école, on m’appelait l’excentrique ».

C’est cet esprit très créatif qui l’amène à changer de stratégie. « Au lieu de produire et de vendre, je décide de répondre aux demandes et de produire en conséquence ». Ce qui implique d’être innovant. « Un jour, un travailleur du cirque me demande si je peux lui faire des bandes de tissu pour les acrobates ». Son cerveau mouline. Il teste, expérimente, et au bout d’un an, réussit à développer un tissu très technique. « Les bandes pour les acrobates, c’est un micro-marché, mais mondial ! ».

Autre demande : un tissu pour les pistes d’escrime, qui soit conducteur, résistant, non glissant. « Un nouveau challenge, je bricole un truc en une nuit, avec des bouts de pneus, que je présente le lendemain. Et puis peu à peu, j’ai affiné ». En « écoutant le marché », il enchaîne les innovations : cibles thermiques pour les forces spéciales, housses de cercueil, bonnets pour le secteur médical, textile thermorégulant pour les malades du cancer, notamment. Et toujours deux lignes directrices pour chacun de ses projets : réussir un challenge, et donner du sens à ce qu’il fait. Il compte des échecs, « des clients qui ne nous ont pas payés et qui nous ont mis en grosse difficulté. Nous étions en position de survie ». Avec la pression d’avoir une famille à nourrir. Sa femme rejoint l’entreprise comme comptable, « une aide précieuse et indispensable, c’est elle qui me remet les pieds sur terre ».

Succès du « Made in France »

Il y a une dizaine d’années pourtant, il décide de ne pas l’écouter. C’est le frémissement du « Made in France ». « Tout le monde disait que c’était une mode et que ça n’allait pas se transformer en tendance de fond. Je me suis lancé dedans tête baissée ». En 2012, la créatrice de la marque lilloise La Gentle Factory, l’une des premières marques écoresponsables, vient le voir. Une collaboration démarre, Malterre leur tricote des tissus en coton bio ou recyclés pour les tee-shirts et les sweats.

Depuis, d’autres marques françaises font partie de ses clients, et le « Made in France », qui est devenu un vrai marché, représente l’essentiel de son activité. Il tricote également du lin, avec une filière qui s’est reconstituée dans les Hauts-de-France, très récemment. « Tout est local, encore une fois, cela a du sens, social et environnemental ». Le carnet de commandes de l’entreprise est plein, les 30 salariés ne chôment pas, ça tourne, « mais je garde en moi tout de même cette position de survie, c’est peut-être ça aussi mon moteur. Rien n’est acquis ».

Laurent Malterre veut continuer à changer l’image de l’industrie textile, « une image très négative, qui s’oppose à celle des paillettes des podiums de mode ». Il ouvre d’ailleurs régulièrement les portes de son entreprise aux visiteurs. Et quand on lui lance que le "Made in France" est trop cher, il bondit : « C’est au consommateur de se poser la question : qu’est-ce qu’il y a derrière un tee-shirt à 2 ou 3 euros ? ».