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L’accord entre Universal et Deezer, une révolution pour l’industrie de la musique?

Le label Universal Music Group et la plateforme de flux Deezer ont annoncé cette semaine un nouveau modèle de rémunération du streaming musical. Un changement qui pourrait bien bouleverser le monde de la musique.

L’ambition est de développer un modèle économique « centré sur l'artiste », lit-on dans un communiqué commun à la plus grande maison de disques du monde et à la plateforme de flux française Deezer. En « réimaginant » le modèle actuel de streaming, dit « market centric », les deux entreprises entendent augmenter de 10% les rémunérations des artistes professionnels.

Dans le modèle actuel, les frais d’abonnement mensuels des auditeurs sont mis en commun, puis divisés entre les détenteurs de droits d'auteur en fonction de leur part d'écoute. Peu importe que la chanson ait été écoutée passivement via un algorithme ou activement en la recherchant, tant qu’une personne écoute pendant plus de 30 secondes. Un système qui profite majoritairement aux gros artistes, qui sont les plus écoutés et les plus intégrés dans les playlists.

Seulement, à partir d’octobre, Deezer attribuera un double bonus aux « artistes professionnels », c’est-à-dire ceux qui dépassent 1 000 écoutes par mois avec au moins 500 auditeurs uniques. En parallèle, un double bonus additionnel récompensera aussi les contenus « engageants », autrement dit les chansons que les utilisateurs auront volontairement recherchées ou placées dans leurs playlists. Enfin, afin de protéger les rémunérations des artistes, Deezer prévoit également de démonétiser les contenus non musicaux et de les remplacer par ses propres contenus, ainsi que de renforcer le système de détection des fraudes.

« Il s'agit du changement de modèle économique le plus ambitieux depuis la création du streaming musical », a déclaré Jeronimo Folgueira, Directeur dénéral de Deezer. Sur le papier, une aubaine pour les artistes, qui dépendent de ce type d’écoute.

Limiter les contenus parasites

En deux ans, le catalogue de Deezer est passé de 90 à plus de 200 millions de contenus. « Il y a eu un petit mouvement de panique dans l’industrie en voyant que les plateformes étaient en train de se faire noyer par de plus en plus de musiques, qui sont automatisées et livrées aux plateformes », explique Sophian Fanen, journaliste spécialisé en histoire de la musique et auteur de Boulevard du stream. « On estime qu’il y a entre 100 000 et 150 000 nouveaux morceaux par jour. Parmi ces morceaux, il peut y en avoir 20 000 constitués de bruit de pluies, de vagues, de réfrigérateurs… »

En 2022, 2% des écoutes Deezer ont été identifiées comme non musicaux, auxquelles il faut encore ajouter les 7% d’écoutes frauduleuses. Avec le modèle « Artist-Centric », Deezer a l’intention de limiter ces contenus parasites, non liés à des artistes. « Le but est d'atténuer les dynamiques qui risquent de noyer la musique dans un océan de bruits et de veiller à ce que nous soutenions et récompensons mieux les artistes à tous les stades de leur carrière, qu'ils aient 1 000, 100 000 ou 100 millions de fans », affirme Michael Nash, responsable digital d’Universal. « Créer un cap à 500 auditeurs mensuels et 1000 écoutes mensuelles, c’est séparer les vrais artistes de ces morceaux-là », rappelle Sophian Fanen.

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Être un petit artiste, ça « gagne pas »

Avec ce nouveau modèle récompensant les écoutes actives, c’est l’engagement des fans qui est valorisé. Une volonté de refléter « mieux la valeur réelle de la relation fan/artiste », indique le communiqué. Selon Sophian Fanen, il s’agit d’un changement majeur : « Ça peut potentiellement recréer le lien entre le fan et l’artiste, qui est aujourd’hui très diffus et distant. Pour l’instant, l’artiste fait sa musique, l’auditeur écoute et il n’y a pas de lien entre les deux. » Si la relation entre fan et artiste devient primordiale, le spécialiste s’attend même à voir des outils de fanclub arriver sur les plateformes, comme des accès en avant-première aux ventes de tickets de concert, des t-shirts en édition limitée, ou encore des livestreams exclusifs.

« Ce que ça ne réglera pas, probablement, c’est qu’être un petit artiste, ça gagne pas », abonde Sophian Fanen. En effet, le modèle valorise les artistes et les genres musicaux qui ont un réel engagement de la part de leurs fans et une vraie communauté. C’est le cas du métal, de l’électro, du reggae ou encore du jazz. « Pour la musique urbaine, beaucoup de jeunes n’ont pas les moyens de se payer un abonnement, contrairement au jazz. Si l’argent est dirigé par les abonnements et les abonnés, certains genres de musique en auront moins que d’autres », regrette Blick Bassy, chanteur et producteur camerounais.

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Pour l’heure, les plus grandes inquiétudes portent sur la rémunération des petits artistes et des artistes émergents. « Ce modèle va les défavoriser parce qu’ils n’ont pas été en mesure de se constituer une fanbase », craint Paul Muller, professeur d’économie à l’université de Lorraine, spécialiste de l’économie de plateformes de l’industrie de la musique. Autre point de tension, le bonus lié au statut d’artiste « professionnel », qui requiert au minimum 1000 écoutes auprès de 500 utilisateurs différents. « Ça pose problème, parce que c’est une vision très réductrice du statut de musicien professionnel, ça se base uniquement sur des critères quantitatifs et ça réduit l’activité professionnelle au streaming », alerte Paul Muller.

Un « nouveau monde qui s’ouvre »

Dans ce nouveau modèle, les écoutes seront aussi rééquilibrées entre les jeunes adultes et les classes d’âge supérieures. Pour ce faire, le nombre d’écoutes rémunérées sera limité à 1000 par mois, afin de chasser les ‘heavy users’, aussi appelés les auditeurs boulimiques. « Aujourd’hui, les écoutes des 13-25 ans sont surreprésentées dans les écoutes mensuelles, parce que ce sont les plus connectés et parce qu’ils ont plus de temps et forment leur gout en découvrant la musique », avance Sophian Fanen. « Ça a pour effet de pousser les maisons de disque à se dire qu’il faut produire de la musique pour les 13-25 ans, aux dépens des autres musiques. »

Pour le spécialiste, c’est un « nouveau monde qui s’ouvre » pour l’industrie de la musique. Une opinion partagée par Blick Bassy, qui milite depuis plusieurs années pour un changement de modèle économique. « L’idée, c’est d’avoir une répartition plus juste. Personnellement, si quelqu’un paie pour écouter mes chansons, je ne comprends pas que cet argent aille aux gros artistes, au prorata de ceux qui sont le plus écoutés, plutôt qu’à moi. »

Seul manquement : la rémunération « prorata temporis », autrement dit le fait de rémunérer différemment des œuvres courtes et des œuvres longues. « Aujourd’hui, une musique d’une minute trente est rémunérée comme une musique de neuf minutes », interpelle Sophian Fanen.

Reste à voir si Deezer, qui représente seulement 2% du marché mondial en 2021 (contre 34% pour Spotify et 17% pour Apple Music), arrivera à susciter un changement dans l’industrie musicale. « Si Deezer arrive à inciter d’autres plateformes et que ça fonctionne, Universal et les majors [les maisons de disques les plus influentes sur le marché, ndlr] vont faire pression sur Spotify et Apple Music pour qu’ils en fassent partie », suppose Sophian Fanen. Pour lui, « Deezer sert de cheval de Troie. »