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Invasion de l’Irak en 2003: deux décennies d’onde de choc régionale

Le 20 mars 2003 à 5h35 heure locale, le ciel de Bagdad s’embrase. C’est le début des bombardements américains de l’opération « Liberté de l’Irak », qui mèneront en quelques jours à la chute de Saddam Hussein. De 2003 à 2011, plus de 100 000 civils ont été tués dans ce pays, selon l'organisation Iraq Body Count. Washington a planifié cette opération en dénonçant la présence d’armes de destruction massive en Irak, aucune n’a jamais été découverte. 

Vingt ans plus tard, le nouveau système politique irakien mis en place suite à l’invasion américaine est en état de crise permanente. Et le Moyen-Orient porte toujours les stigmates de cette aventure militaire. L’invasion américaine a ouvert un nouveau chapitre pour un autre ennemi de Washington dans la région : l’Iran. Et elle a durablement affaibli la crédibilité de l’Occident en ce qui concerne le respect du Droit international.

En envahissant l’Irak, les États-Unis de George Bush et leurs alliés ont-ils rendu un immense service à l’Iran, leur ennemi ? Oui, selon le spécialiste Clément Therme, chercheur associé à l'Institut international d'études iraniennes Rasanah. Pour lui, « Washington a accompli ce que les forces armées iraniennes n’étaient pas parvenues à réaliser lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988) ».

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Débarrassée en 2003 de son menaçant voisin Saddam Hussein, la République islamique d’Iran a pu tirer profit à long terme de l’aventure américaine en Irak. Celle-ci se révélant désastreuse (violences inter-irakiennes, poussée jihadiste) « elle a renforcé le régime iranien qui n'a plus craint l'option militaire américaine », poursuit Clément Therme. Fini le « Iran Next » (« l’Iran est le prochain ») qui était souhaité par les uns et redouté par les autres en cette période d’interventionnisme américain extrême. 

Dès lors, « cette intervention militaire de Washington a ouvert un espace pour la construction de réseaux d'influence iraniens, explique Clément Therme. L’Iran est paradoxalement devenu un allié omniprésent et influent dans le « nouvel Irak » dessiné par Washington après l’invasion.  Et Téhéran a pu étendre son « corridor stratégique qui part de l'Iran, traverse l'Irak et la Syrie et se termine au Liban, ajoute Clément Therme. Qui résume : au discours de Bush sur ‘l'axe du mal’ a répondu le discours sur ‘l'axe de la résistance’ revendiqué par Téhéran ». 

Chiisme 

L’invasion américaine de l’Irak a permis à la majorité chiite du pays d’accéder au pouvoir, alors qu’elle était marginalisée et opprimée sous Saddam Hussein. Ce renversement a eu des conséquences dans toute la région. « Il y a eu dans les mondes chiites une renaissance de Nadjaf [ville sainte d’Irak et important centre religieux de l’Islam chiite] et un rayonnement accru de l'ayatollah Sistani qui est la plus populaire des ‘sources d'imitation’ (« marja ») des mondes chiites », explique Clément Therme. Cette évolution a souvent été perçue comme favorisant un « axe chiite » ou « croissant chiite », au service des ambitions régionales de l’Iran à majorité chiite.  

L’invasion de l’Irak a-t-elle pour autant déstabilisé la région ? « Elle a déstabilisé l’Irak, mais pas la région », nuance Thomas Pierret (CNRS, Iremam) pour qui il serait erroné de chercher un continuum entre la guerre de 2003 en Irak et celle qui a débuté en Syrie en 2011. Mais la première a été « un facteur d’aggravation » de la seconde, pour trois raisons, selon Thomas Pierret : « Dabord, parce que le groupe État islamique (anciennement État islamique en Irak et au Levant) est un produit de l’invasion américaine de l’Irak et que ce groupe a joué ensuite un rôle extrêmement toxique dans le conflit en Syrie. Ensuite, parce que des groupes paramilitaires irakiens soutenus par l’Iran se sont engagés aux côtés de Bachar el-Assad. Enfin, parce que sans l’échec en Irak, les Américains auraient sans doute réfléchi davantage à une opération en Syrie au nom de la responsabilité de protéger » 

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Mensonge de l'administration américaine

La décision de l’administration américaine de George Bush Jr. (2001-2009) de renverser Saddam Hussein a été accompagnée d’un mensonge historique : de fausses preuves de la présence d’armes de destruction massive en Irak. Or, aucun programme nucléaire ou chimique n’a été retrouvé après l’invasion.

Le chaos meurtrier qui a suivi l’intervention de 2003 a fait voler en éclat les promesses de « nouveau Moyen-Orient » brandies par la Maison Blanche à l’époque. 

« Les États-Unis sont tombés dans le piège de l’aveuglement et de l’idéologie, ignorant les leçons de l’histoire et du passé », résume l’historien Pierre Razoux qui dirige la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). Mais - poursuit-il - « l’histoire se venge : l’Irak a été le tombeau de l’hubris (*) américaine, encore plus que l’Afghanistan. Et le retrait américain de 2011 a fait le lit du groupe État Islamique d’un côté et de l’Iran de l’autre. La suite marquera le retour des autres acteurs dans la région : Iran, Russie, Turquie et Arabie saoudite ». 

Tournant historique

Tournant historique, l’invasion de l’Irak a porté un coup à l’interventionnisme occidental en général, américain en particulier. Ainsi, le fantôme de l’Irak a pétrifié les États-Unis de Barack Obama à l’été 2013 lorsque Washington a renoncé à intervenir en Syrie alors que l’utilisation de l’arme chimique – attribuée à Bachar el-Assad – violait la « ligne rouge » que le président américain avait lui-même définie. « Tout le mandat de Barack Obama (successeur de George Bush, 2009-2017) est fondé sur la promesse d’un désengagement militaire du Moyen-Orient », souligne le chercheur Thomas Pierret (CNRS, Iremam).

Vingt ans plus tard, l’invasion américaine de l’Irak pèse-t-elle encore sur les relations internationales ? Selon Clément Therme, « elle a affaibli la crédibilité occidentale s'agissant du respect des règles du droit international »Une rupture constatée aujourd’hui lorsque les Occidentaux peinent à rallier le soutien de certains pays du sud pour condamner l’invasion russe de l’Ukraine.

 (*) Hubris : Outrance dans le comportement inspirée par l’orgueil ; démesure.