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Hanieh Delecroix: «Femme – Vie – Liberté – Égalité – Fraternité», l’art de créer des liens

« Quand la liberté d’une femme en Iran est bafouée, celle d’une Française l’est également. » Pour combattre le silence et l’indifférence, elle a fait entrer et afficher le nom de Mahsa Amini dans des institutions culturelles en France dont certaines se sont montrées « frileuses », parce qu’il s’agit de l’Iran. Quelques jours après la mort de la jeune femme à Téhéran, le 16 septembre 2022, arrêtée pour une mèche de cheveux qui dépassait de son foulard, l’artiste franco-iranienne Hanieh Delecroix a démarré ses actions et installations en soutien des femmes en Iran.

RFI : Le Palais de Tokyo à Paris est le plus grand centre d’art contemporain en France, voire en Europe, situé à quelques centaines de mètres de l’Ambassade de la République islamique d’Iran. Comment décririez-vous votre installation à l’intérieur du Palais de Tokyo ?

Hanieh Delecroix : Ici, on voit des hashtags «#MahsaAmini que j’ai installé le 22 septembre 2022. Le 16 septembre, quand cette jeune fille, Mahsa Amini, a été tuée pour une mèche de cheveux qui dépassait de son foulard, il y a eu un mouvement protestataire en Iran, un début de révolution. Et la diaspora iranienne s’est mobilisée pour aider les Iraniens dans leur pays. Ils nous ont demandés d’être leur voix. On s’est mobilisé pour le peuple qui était en train de souffrir. Donc, je me suis demandé : comment moi, en tant qu’artiste, je peux être la voix des Iraniens et Iraniennes en Iran ? Cela me semblait évident d’informer mes compatriotes français sur ce qui se passe actuellement en Iran. Parce que, c’est le silence qui est difficile. C’est l’ignorance aussi qui fait qu’on ne peut pas les aider. En parlant de l’Iran, en faisant connaître la situation à mes compatriotes français, cela pouvait être une façon de porter la voix de ces femmes et ces hommes iraniens. Donc, mon but est d’informer.

Pourquoi avez-vous rajouté dans votre installation les deux mots « Égalité » et « Fraternité » au slogan « Femme – Vie – Liberté » du mouvement pour la liberté des femmes en Iran ?

J’ai ajouté ces deux mots-là, parce que l’idée était que la France saisisse la main de ces jeunes Iraniennes et Iraniens. J’ai trouvé qu’il y a quand même un mot qui était en commun et qu’il fallait s’en servir pour que ce soit un lien. Si on crée du lien, alors on peut porter haut la voix du peuple iranien.

Vous êtes née en 1974 en Iran, vous vivez depuis 1978 en France. Vos installations Femme – Vie –Liberté – Égalité – Fraternité et vos actions se situent et se déroulent dans des institutions françaises. Quel est pour vous le rôle, la responsabilité, le pouvoir des institutions françaises dans ce combat pour la liberté des femmes en Iran ?

Au départ, en France, nous n’avons pas entendu notre président. Il a mis deux mois avant de parler de la situation iranienne. Le fait de passer par les institutions culturelles ou universitaires était, d’une part une occasion pour que je puisse dire à mes compatriotes iraniens : « Continuez, la France vous soutient ». En même temps, c’était aussi un pied de nez au gouvernement français. Depuis, la France a pris position et entend la voix du peuple iranien. Il n’y a qu’à voir devant l’entrée du Palais de Tokyo où des affiches ont été installées.

L’installation « Femme – Vie – Liberté – Égalité – Fraternité » de l’artiste franco-iranienne Hanieh Delecroix au Palais de Tokyo.
L’installation « Femme – Vie – Liberté – Égalité – Fraternité » de l’artiste franco-iranienne Hanieh Delecroix au Palais de Tokyo. © Siegfried Forster / RFI

Quelle est votre approche artistique pour aborder les visiteurs du Palais de Tokyo ou des autres institutions où se trouvent vos installations ?

C’est un hashtag. C’est très simple, avec une écriture noire sur un fond blanc. Ce n’est pas du tout ma griffe artistique habituelle. D’habitude, je travaille trois couleurs : le noir, le bleu et le blanc. Ici, c’est une invitation simple, symbolique, autour d’une colonne autour de laquelle nous pouvons tourner. Donc, si vous ne savez pas qui est Mahsa Amini, ce hashtag vous invite à aller sur les moteurs de recherche pour aller comprendre qui est cette femme. Et quand vous tapez « Mahsa Amini », vous allez avoir tout l’historique de ce qui se passe en Iran depuis au moins le 16 septembre. Pour moi, c’est important d’informer pour que le public ensuite, à son tour, partage autour de la situation en Iran.

Au-delà de votre installation, vous avez également réalisé une performance au Palais de Tokyo, Au coin de la rue. Comment le public a-t-il réagi par rapport à cette action très personnelle ?

Avec cette performance, je me suis dit : c’est peut-être le moment d’aller vers le public et de ne pas attendre que le public voie cette installation. J’ai pensé à ces jeunes en Iran qui – pour se soutenir les uns les autres – vont dans la rue et cachent dans leur poing un bonbon, une douceur, et un mot. Un mot qui peut être « Femme – Vie – Liberté », ou « N’ayez pas peur, nous sommes tous ensemble », ou « Comme tu es belle avec tes cheveux au vent ». Ils font un check dans la rue, le poing fermé, une personne rencontre une autre. Ils se font un check, l’un ouvre sa main, et il y a ce présent, ce message de soutien à l’autre, à l’inconnu. J’ai fait cette performance ici, au Palais de Tokyo, il y a quelques semaines, et j’avoue, j’ai été bouleversée. Cela m’a permis d’échanger avec le public. Nous avons parlé, discuté, parfois, je suis restée une demi-heure pour parler de la situation en Iran. J’ai toujours pensé que nous sommes tous interdépendants et ce qui se passe en Iran, bien sûr, a un effet ici. Quand la liberté d’une femme en Iran est bafouée, celle d’une Française l’est également.

Votre hashtag est aussi une invitation d’être ensemble. Quels retours avez-vous eus de la part des gens en Iran ?

Ils sont contents qu’on soit leur voix. J’ai des messages vraiment tendres, très bouleversants. Ils m’envoient aussi des vidéos, des informations… Ils sont sensibles au fait que nous, en France, nous allons partager les informations et on ne va pas les laisser dans le silence.

Des affiches « Femme – Vie – Liberté » en soutien à la lutte des femmes pour la liberté en Iran devant le Palais de Tokyo à Paris.

Votre installation a été accueillie dans de nombreuses institutions. Le Palais de Tokyo était la première, suivie par la Cité des sciences et de l’Industrie, l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), la faculté de Nanterre, La Sorbonne, Sciences Po Paris, la Monnaie de Paris, la galerie Laure Roynette, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), le Palais de la Porte Dorée… Y avait-il aussi des institutions qui ont refusé d’accueillir votre installation ?

Oui, il y a des institutions qui ont refusé. Ou des institutions qui ne m’ont pas répondu. Soit la réponse était : « Nous sommes frileux ! » C’était bien le mot qui a été utilisé : « Nous sommes frileux quand il s’agit de l’Iran ». Mais, avec le temps, certaines reviennent vers moi, et je continue, je les sollicite à nouveau. Et ce qui est merveilleux aussi, je suis aidée par des institutions qui communiquent entre elles l’information. J’ai pu faire une installation à la Collection Lambert à Avignon, l’installation a été aussi accueillie à la Frac en Corse… Les Français, aux quatre coins du pays, sont sensibles à ce qui se passe en Iran.

La violence contre les femmes fait régulièrement la Une des médias : il y avait l’initiative #BringBackOurGirls après l’enlèvement des filles par Boko Haram au Nigeria, le viol des femmes comme arme de guerre au Congo, l’oppression des femmes en Afghanistan… En revanche, votre installation est probablement la première action artistique engagée et à visée politique pour la liberté des femmes dans un autre pays qui fait ouvertement son entrée dans des institutions culturelles et artistiques en France. Comment expliquez-vous cela ?

Déjà se pose la question : est-ce que c’est la place de l’institution culturelle ? Évidemment. La réponse est malheureusement dans la triste prison d’Evin, à Téhéran. De nombreux intellectuels et artistes se trouvent dans cette prison. Le régime a emprisonné les artistes qui n’ont pas le droit de s’exprimer. Ils sont bâillonnés. Je trouve cela intéressant que les institutions culturelles accueillent cette parole et puissent défendre cette cause. Ce qui se passe en Iran est incroyable. Avec trois mots : « Femmes – Vie – Liberté », ces femmes iraniennes, cette jeunesse iranienne a changé le cours de l’histoire et, j’espère, va changer la face du monde. Le fait que ce soit une révolution portée par les femmes, et les jeunes, cela n’est pas vraiment arrivé, c’est la première fois. En tout cas, pour moi, et peut-être d’autres personnes de nationalité iranienne vivant à l’étranger, le mur de la peur est tombé. Moi, c’est la première fois que je n’ai pas peur. Oui, je défendrai ces femmes, ces hommes, ces enfants, parce qu’il ne faut pas oublier que ce sont aussi des enfants qui sont attaqués. Il faut en parler, parce que cela existe. Et surtout, il faut que cela cesse.

Le 8 mars est la Journée internationale des droits des femmes. Le courage des femmes iraniennes, donne-t-il aussi de la force pour lutter pour les droits des femmes en France ?

Oui, et pas qu’en France. Ces femmes iraniennes sont aujourd’hui un exemple pour le monde entier. Tous les jours, au péril de leur vie, elles continuent le combat, les mains nues face à des hommes agressifs et armés. Elles continuent, elles sont là, elles sont dans la rue, quel que soit leur âge. Cela ne touche pas seulement des étudiantes, des lycéennes et des collégiennes, mais aussi des enfants du primaire, qui malheureusement, eux aussi, ont été victimes d’attaques au gaz.

L’installation « Femme – Vie – Liberté – Égalité – Fraternité » de l’artiste franco-iranienne Hanieh Delecroix au Palais de la Porte Dorée.
L’installation « Femme – Vie – Liberté – Égalité – Fraternité » de l’artiste franco-iranienne Hanieh Delecroix au Palais de la Porte Dorée. © Hanieh Delecroix

► Ce mercredi 8 mars, à 18h30, l’artiste Hanieh Delecroix participera au Palais de la Porte Dorée, à Paris, aux côtés de Mariam Pirzadeh, Rana Gorgani et Ariana Vafadari, à la soirée de soutien aux Iraniennes qui luttent pour leur liberté.