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Grandeur et mystères du pigeon des villes

Adulé dans les cultures du bouddhisme et de l'islam, le pigeon est tombé en disgrâce en Occident. Il est bien loin le temps où l'on érigeait des monuments au « pigeon-soldat » de la Grande Guerre. Omniprésent, mais méconnu, il passionne pourtant les scientifiques, qui n'en ont pas fini de percer ses mystères.

Dans la langue française, les volatiles sont réputés peu intelligents. Une personne bernée est vu comme le « dindon de la farce » – du nom du personnage grotesque des pièces comiques du Moyen Âge. Un étourdi sera réputé avoir « une cervelle de moineau » ou bien être une « tête de linotte ». Quelqu’un qui répète tout ce qu’on lui dit sans comprendre se voit aussitôt comparé à « un perroquet ». Un bon à rien est qualifié de « triple buse » – une seule n’y suffirait pas – et s’il ne doit son incapacité qu’à son inexpérience, il pourra s’enorgueillir du titre de « perdreau de l’année ».

Cette liste de « noms d’oiseaux », dont la science a montré qu’elle ne relève que de l’imaginaire appauvri de « butors » et de « bécassons », est loin d’être exhaustive. Qu’on se rassure cependant. Cet article n’a en aucune manière l’intention de vous « pigeonner », mais de vous faire découvrir quelques aspects méconnus d’un animal si familier qu’il en est devenu invisible, dont certaines caractéristiques extraordinaires demeurent encore aujourd’hui en partie inexpliquées.

Dure loi pour les pigeons

Le « pijon » désigne d’abord n’importe quel espèce d’oisillon jusqu’au XIVe siècle. Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, sa domestication remonte à plusieurs milliers d’années. On le trouve ainsi représenté sur les tablettes cunéiformes de Mésopotamie comme sur les hiéroglyphes égyptiens. Durant l’Ancien Régime, il est apprécié pour sa chair, et dans l’article 2 de l’abolition des privilèges, le 4 août 1789, on trouve celui des pigeonniers qui depuis Charlemagne était l’usage exclusif de la noblesse – les paysans n’avaient pas même le droit de chasser le pigeon.

Il faut dire que concernant les columbidae, les humains n’ont jamais été avares en matière de radicalité judiciaire. Ainsi, durant la guerre de 1870, alors que des pigeons voyageurs sont envoyés par montgolfières en province – avec l’espoir qu’ils reviendraient au pigeonnier lestés de nombreux messages –, les Prussiens menacent de mort les détenteurs de pigeons. Et Léon Gambetta, le ministre de l’Intérieur du nouveau gouvernement provisoire de la République française – qui a voyagé d’ailleurs le 7 octobre sur le ballon Armand-Barbès en compagnie de pigeons entre Paris et les environs de Beauvais, avant de rejoindre Tours par d’autres moyens –, y répond en promulguant la peine capitale pour les chasseurs de pigeons.

Aujourd’hui, le pigeon relève d’une non-catégorie juridique, la res nullius, littéralement, la « chose de personne ». Le pigeon parisien est en effet pour l’essentiel un pigeon biset descendant direct des pigeons d’élevage, parmi lesquels nombre de pigeons militaires qui ont fait les belles heures de l’armée française jusqu’en 1919. Seulement voilà, les producteurs de viande se sont mis à préférer les poulets plus rentables aux pigeons, les agriculteurs les engrais chimiques au guano jusque-là si prisé, et il y a bien longtemps que les télécommunications ont relégué aux oubliettes les vertus du pigeon voyageur. Rejeté par les humains qui l’avaient adulé, le pigeon biset est devenu un animal féral – entendez : revenu à l’état sauvage – mais toujours commensal – qui apprécie notre compagnie, laquelle, bien sûr, lui fournit d’excellentes occasions de se sustenter.

Carte postale réalisée après juin 1916, pour commémorer la défense du fort de Vaux par le commandant Raynal face aux Allemands. Ce dernier a tenu, avec sa petite garnison, la 50e division allemande en échec du 2 au 7 juin 1916. Lui et ses hommes ont finalement dû se rendre le 7 juin, après plusieurs jours d’attaque. Les honneurs militaires leurs sont rendus par les Allemands pour leur résistance héroïque. Le 4 juin, le commandant Raynal a envoyé un colombogramme (voir verso carte postale dernier pigeon ci-joint) précisant qu’il s’agissait de son dernier pigeon et qu’il y avait urgence à les dégager de la situation dans laquelle le fort se trouvait. Il s’agit donc de sa dernière transmission, son dernier espoir d’être secouru. Ce pigeon est Le Vaillant, un des quatre derniers pigeons à quitter le fort. Malgré les gaz et l’attaque allemande, il arrive au colombier de la citadelle de Verdun en vie. Il reçoit plus tard une bague d’honneur avec citation à l’ordre de la Nation.
Carte postale réalisée après juin 1916, pour commémorer la défense du fort de Vaux par le commandant Raynal face aux Allemands. Ce dernier a tenu, avec sa petite garnison, la 50e division allemande en échec du 2 au 7 juin 1916. Lui et ses hommes ont finalement dû se rendre le 7 juin, après plusieurs jours d’attaque. Les honneurs militaires leurs sont rendus par les Allemands pour leur résistance héroïque. Le 4 juin, le commandant Raynal a envoyé un colombogramme (voir verso carte postale dernier pigeon ci-joint) précisant qu’il s’agissait de son dernier pigeon et qu’il y avait urgence à les dégager de la situation dans laquelle le fort se trouvait. Il s’agit donc de sa dernière transmission, son dernier espoir d’être secouru. Ce pigeon est Le Vaillant, un des quatre derniers pigeons à quitter le fort. Malgré les gaz et l’attaque allemande, il arrive au colombier de la citadelle de Verdun en vie. Il reçoit plus tard une bague d’honneur avec citation à l’ordre de la Nation. © Avec la gracieuse autorisation du Musée de la Grande Guerre de Meaux

Un animal intelligent doté d'un système d'orientation complexe

On peut l'affirmer sans hésitation : non, le pigeon n’est pas si bête. Il fait partie, même si c’est un critère qu'on ne considère plus aujourd'hui suffisant pour hiérarchiser l’intelligence animale, du rare club de celles et ceux, parmi les vertébrés, qui sont capables de se reconnaître dans un miroir. Et c'est encore plus rare chez les oiseaux. Il faut dire que le sens de la vue chez le pigeon est particulièrement aiguisé : c’est d’ailleurs pour cela que face au danger – les cyclistes le savent bien –, il ne s’envole qu’au tout dernier moment. Il enregistre les images bien plus rapidement que nous et il n'a donc nul besoin d'anticiper sa fuite.

Mais ce n’est pas tout. Des chercheurs japonais de l'Université Keio – prix Ig-Nobel 1995 – ont montré que les pigeons, non contents de pouvoir distinguer – contre récompense – l’image d’un humain ou d’un animal, et même de différencier les genres, étaient aussi capables de classer dans deux catégories distinctes des tableaux de Monet et de Picasso, et d’associer à l’un comme à l’autre d’autres œuvres impressionnistes ou cubistes. L'animal est si surprenant que nous ne parvenons toujours pas à comprendre parfaitement comment un pigeon voyageur parvient à retrouver le chemin du bercail sur des distances allant jusqu’à 1 000 kilomètres.

À la différence des mammifères, les oiseaux sont dotés d’une mandibule supérieure – leur mâchoire supérieure conservant une certaine mobilité par rapport au crâne. Cette mandibule chez les pigeons contient des matériaux ferreux qui permet au pigeon de se repérer par rapport aux champs magnétiques. À cette boussole terrestre, s'ajoute une autre boussole solaire et une troisième qu’on pourrait qualifier d’olfactive. Ainsi, un pigeon relâché va d’abord marquer dans son vol un temps d’hésitation puis une fois défini sa route, filer droit vers sa destination, « à vol d’oiseau ».

Verso de la carte postale du dernier pigeon: le 4 juin, le commandant Raynal a envoyé un colombogramme précisant qu’il s’agissait de son dernier pigeon et qu’il y avait urgence à les dégager de la situation dans laquelle le fort se trouvait. Il s’agit donc de sa dernière transmission, son dernier espoir d’être secouru. Ce pigeon est Le Vaillant, un des quatre derniers pigeons à quitter le fort. Malgré les gaz et l’attaque allemande, il arrive au colombier de la citadelle de Verdun en vie. Il reçoit plus tard une bague d’honneur avec citation à l’ordre de la Nation.
Verso de la carte postale du dernier pigeon: le 4 juin, le commandant Raynal a envoyé un colombogramme précisant qu’il s’agissait de son dernier pigeon et qu’il y avait urgence à les dégager de la situation dans laquelle le fort se trouvait. Il s’agit donc de sa dernière transmission, son dernier espoir d’être secouru. Ce pigeon est Le Vaillant, un des quatre derniers pigeons à quitter le fort. Malgré les gaz et l’attaque allemande, il arrive au colombier de la citadelle de Verdun en vie. Il reçoit plus tard une bague d’honneur avec citation à l’ordre de la Nation. © Avec la gracieuse autorisation du Musée de la Grande Guerre à Meaux.

Parfois paresseux et pas toujours fidèle

Le pigeon, ceci dit, peut faire preuve d'une certaine paresse dans l'apprentissage. Il n'y a donc pas de modification de comportement par mimétisme chez les adultes, et si l'un des membres du groupe se montre doué dans une activité qui peut bénéficier aux autres, aucun de ces congénères ne cherchera à le concurrencer. Pour autant, on connaît mal encore les règles de sociabilité chez les pigeons  où certains individus peuvent être chassés du groupe  comme on a longtemps exagéré sa fidélité. Il n'est pas rare en effet qu'un des deux tourtereaux aille roucouler loin du nid conjugal.

On a dénombré de manière tout à fait fantaisiste jusqu’à un million de pigeons à Paris, en 1969, mais selon l'AERHO – Association espaces de rencontres entre les hommes et les oiseaux –, ils ne seraient plus aujourd’hui que 23 000. Animal décrié pour les nuisances qu’il apporte – d’où son surnom de « rat volant » venu des États-Unis –, il est encore trop souvent abattu ou gazé. De grandes villes ont mis en place des distributions de maïs stérilisant ou des pigeonniers contraceptifs. Dans ces derniers, les œufs sont secoués régulièrement pour empêcher leur éclosion.

On notera au passage que chez les pigeons – chez qui on ne trouve pas de dimorphisme de genre, autrement dit rien ne distingue une femelle d’un mâle sinon les organes sexuels –, les deux parents s’occupent des petits à parts égales. Ceux-ci sont nourris les trois premiers jours exclusivement grâce au lait de jabot, une substance riche en lipides et en protéines produite par le père et la mère, et régurgitée directement dans le bec de leur progéniture. Une fois autonome, les petits sont chassés du nid sans autre forme de procès. Il n’est donc pas question pour les petits de prendre leurs parents pour des pigeons.

À voir au Musée de la Grande Guerre à Meaux, le magnifique pigeonnier militaire réalisé à partir d’un châssis de Berliet CAD sur la caisse duquel a été ajoutée une structure destinée à abriter les cages des pigeons. La partie inférieure du camion sert de lieu de vie pour le colombophile. C’est là aussi que sont rédigées les dépêches et que sont consignées dans des registres les missions et performances de chaque pigeon. Pour en savoir plus sur le "dernier pigeon présenté en illustration, se reporter au journal du Commandant Raynal en libre accès sur Gallica ainsi qu'à cet article sur notre site. On notera enfin que le protagoniste du film de Gabriel le Bornin, Les Fragments d'Antonin (2006), rare et émouvant portrait d'un déserteur de la Grande Guerre, est un colombophile invétéré.

Notre sélection sur le sujet :

→ Pourquoi se mettre dans l'œil du pigeon
→ Un pigeon est né sur mon balcon
→ L’élevage des pigeons en Égypte

→ Didier Lapostre et Marie-Hélène Goix, Des pigeons dans la ville, secrets d'une relation millénaire entre deux bipèdes, Éditions AERHO, 2019. (Ouvrage téléchargeable gratuitement)
→ Luc-Alain Giraldeau, Dans l’œil du pigeon, évolution, hérédité et culture, Editions du Pommier, 2016.
→ Jean-Michel Durex, Héros oubliés, les animaux dans la Grande-Guerre, Editions Pierre de Taillac, 2014

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