Niger
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Élections législatives de 1973: quand les droites réussissaient à s’allier

Par Bryan Muller, Université de Lorraine.

Alors que l’actualité politique est marquée par de vives tensions au sein de l’Assemblée nationale et que le gouvernement compte sur les voix des députés Républicains pour faire adopter sa réforme du système de retraites, le 4 et 11 mars dernier marquaient le cinquantième anniversaire des élections législatives de 1973. Un scrutin essentiel à l’époque qui renforce (au moins en apparence) l’union des droites.

Les événements de mai-juin 1968 avaient conduit à un raz-de-marée gaulliste à l’Assemblée nationale les 23-30 juin de la même année. Qualifiées par une partie de l’opposition d’élections de la peur, elles assurent au général de Gaulle une grande latitude d’action. Le départ de l’homme du 18 juin en avril 1969 ne provoque pas de rupture gouvernementale ni parlementaire. Georges Pompidou lui succède en juin 1969.

Toutefois, la situation évolue rapidement en 1972 : le gouvernement Chaban-Delmas voit sa popularité baisser à cause d’une série de scandales politico-financiers ; un référendum sur l’agrandissement de la Communauté économique européenne se solde par une victoire de l’abstention en avril ; les socialistes, les communistes et les radicaux de gauche se rassemblent autour d’un « programme commun de gouvernement » en juin.

Des élections aux candidatures multiples

Au début de l’année 1973, trois coalitions se présentent pour le Palais Bourbon. La première est l’Union des Républicains de Progrès (URP) rassemblant des gaullistes, des libéraux et les centristes du Centre démocratie et progrès (CDP). Elle rassemble les membres de la majorité sortante et se veut soudée autour du président de la République Georges Pompidou. La seconde est composée des partis de la gauche unie, à savoir le Parti communiste français (PCF), le Parti socialiste (PS) et le Mouvement des radicaux de gauche (MRG). La troisième est une tentative de fédération des partis centristes hostiles aux gaullistes sous l’appellation de Mouvement réformateur (MR).

À leurs marges se trouvent des organisations d’extrême gauche et d’extrême droite, principalement le Parti socialiste unifié (PSU) et des trotskistes et le Front national (FN) qui connaît son baptême du feu.

Afin d’accroître leur chance de succès, les membres de l’URP s’entendent pour présenter des candidatures uniques dès le premier tour dans 415 circonscriptions. Les inimitiés entre gaullistes, libéraux et centristes empêchent de réaliser l’union au premier tour dans 77 circonscriptions (des responsables politiques comme Michel Debré et Michel Poniatowski appelant d’ailleurs à s’affronter partout au premier tour et à ne s’unir qu’au second), l’unité n’est alors prévue qu’au second tour.

À l’inverse, la gauche unie convient d’un accord de désistement systématique en faveur du meilleur candidat au second tour. Il y a donc des candidats PS et PCF, MRG et PSU dans une moindre mesure (ils n’ont pas les moyens d’envoyer des candidats dans chaque circonscription), susceptibles de s’affronter lors du premier tour, ce qui peut avantager les droites. Toutefois, chaque candidat de droite qui ne serait pas élu dès le premier tour aura davantage de difficulté à passer le second puisqu’il ne dispose plus théoriquement de réserve, là où le candidat de la gauche unie dispose potentiellement des voix de ses alliés-rivaux. C’est pourquoi le scrutin s’annonce plutôt serré.

Un scrutin sous tension

Bien qu’elles restent limitées, les chances de voir la gauche unie l’emporter inquiètent les droites. Pierre Messmer, Premier ministre de Pompidou, s’est positionné sur un discours conservateur antimarxiste pour convaincre l’électorat de droite de la nécessité de se mobiliser pour soutenir l’URP.

Ainsi, des organisations gaullistes comme le Service d’action civique (SAC), les Comités pour la défense de la République (CDR) ou encore le Club nouvelle frontière (CNF) mobilisent leurs membres pour défendre le programme de la majorité sortante. Le SAC s’affère avant tout au collage d’affiches et à la protection des meetings, les CDR à l’élaboration d’affiches, de tracts et de papillons originaux ainsi qu’à la diffusion de communiqués dans la presse, le CNF à la rédaction d’un ouvrage collectif qui vise à discréditer l’ensemble des mesures prévues dans le programme de la gauche unie.

Pierre Messmer occupe le poste de Premier ministre du 5 juillet 1972 au 27 mai 1974, sous la présidence de Georges Pompidou.
Pierre Messmer occupe le poste de Premier ministre du 5 juillet 1972 au 27 mai 1974, sous la présidence de Georges Pompidou. © Wikicommons, CC BY-SA

Bien que l’ensemble des opposants à l’URP soient combattus, ce sont principalement les gauches unies qui sont ciblées du fait de leur puissance électorale. Les autres coalitions et organisations ciblent prioritairement le bilan de la majorité sortante, qu’elles jugent insatisfaisants.

Pour les gaullistes et leurs alliés, la priorité est donc à la lutte contre la « subversion marxiste » orchestrée avant tout par les « socialo-communistes ». Un discours alarmiste visant à discréditer le programme commun de la gauche unie est valorisé par les responsables gaullistes. La possibilité d’une victoire de celui-ci est présentée, au mieux comme la promesse d’une restauration de la IVe République, au pire comme l’instauration d’une dictature collectiviste, en passant par un régime de disettes et de misère.

Si la volonté de décrédibiliser le tout jeune programme commun est récente, les arguments avancés ne le sont pas. Il s’agit d’une reprise du discours antisubversif développé depuis mai-juin 1968. Les communistes, les socialistes et les radicaux de gauche maintiennent également leur rhétorique « antifasciste »/« antisalazariste » à l’endroit de cette majorité sortante qu’ils jugent autoritaire et liberticide.

La confrontation de ces deux discours anxiogènes nourrie des tensions déjà bien présentes lors de la campagne électorale (accumulation des oppositions depuis 1968, conviction chez de nombreux militants qu’une fascisation ou qu’une subversion se déroule sous leurs yeux, frictions classiques lors d’enjeux électoraux importants).

Il n’est donc guère surprenant que les incidents s’accumulent entre le 1er janvier et le soir du 11 au 12 mars 1973 – au moins une quarantaine sont relevés, même si le chiffre réel doit être doublé voire triplé. Le SAC et les CDR sont en première ligne pour la défense de l’URP.

Ils sont donc les deux principaux organismes à se retrouver impliqués dans les affrontements sur le terrain. La répartition des responsabilités dans les passages à l’acte violent est équilibré, les gaullistes étant aussi souvent coupables d’agressions et de dégradations de biens privés que leurs adversaires.

Néanmoins, malgré les enjeux du scrutin, aucun décès n’est à déplorer. C’est une première depuis cinq ans dans un scrutin de cette importance puisque lors des élections législatives de juin 1968, un militant communiste fut tué par des militants gaullistes, tout comme lors des élections municipales de 1971 (un socialiste est abattu) puis du référendum de 1972 (un communiste est écrasé par une voiture). De toute évidence, les organisations gaullistes maîtrisent mieux leurs militants et ont su améliorer leur gestion de l’ordre. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’excès de part et d’autre : des excès ont toujours lieu et un drame fut évité à Toulouse dans la nuit du 9 au 10 mars lorsqu’un « commando » du SAC et des CDR ont vidé leurs chargeurs contre des militants socialistes sans parvenir à en toucher un seul (La dépêche du Midi, 12 mars 1973) !

Des résultats trompeurs

Tendues, les élections législatives n’en restent pas moins finalement favorables à l’URP.

Au premier tour, l’URP obtient 38 % des suffrages exprimés. Les gauches unies obtiennent des résultats similaires. Si le PCF reste le principal parti de gauche, le PS progresse rapidement. Le MR peine de son côté à s’en sortir avec 12,5 % des suffrages exprimés. Il est tout de même suffisamment bien placé pour se trouver régulièrement en position d’arbitre pour le second tour dans de nombreuses circonscriptions. Les extrêmes ne parviennent pas à se démarquer face aux trois blocs : le PSU obtient moins de 2 %, les trotskistes dépassent à peine les 1 % et les extrêmes droites sont à 0,52 % (1,33 % pour le FN).

Le listing des résultats imprimé par ordinateur posé à même le sol pour vérification lors du premier tour des élections législatives 1973, ici à Metz le Soir 4 mars.
Le listing des résultats imprimé par ordinateur posé à même le sol pour vérification lors du premier tour des élections législatives 1973, ici à Metz le Soir 4 mars. © Archives Le Républicain Lorrain

Afin d’affaiblir les gauches, l’URP parvient à conclure un accord de désistement avec le MR pour le second tour. Le soir du 11 mars, le MR parvient à décrocher 31 sièges (contre 15 en 1968), ce qui était loin de lui être assuré le soir du 4 mars. Bien entendu, l’URP est la grande gagnante en obtenant 268 sièges.

Cependant, cette victoire ne doit pas éclipser plusieurs constats. Tout d’abord, les gaullistes reculent nettement et doivent désormais compter sur leurs alliés pour maintenir leur assise. Ensuite, l’échec de grandes figures comme Maurice Schuman et Alexandre Sanguinetti représentent une défaite symbolique. Enfin, la dépendance des gaullistes envers leurs alliés libéraux et centristes les contraints à leur accorder davantage de place au sein du nouveau gouvernement Messmer II. Par exemple, Michel Debré, gaulliste historique, n’est plus ministre alors qu’un antigaulliste convaincu, Michel Poniatowski, devient ministre de la Santé.

De leur côté, les gauches obtiennent des gains conséquents, passant de 91 députés en 1968 à 176. Certes, l’entente électorale établie entre l’URP et le MR lors du second tour a provoqué la perte d’une vingtaine de sièges aux gauches. Néanmoins, les contemporains estiment que le programme commun de la gauche unie est parvenu à lancer une nouvelle dynamique qui s’annonce prometteuse.

Bryan Muller est ATER en Histoire contemporaine à l'Université Picardie Jules Verne, docteur de l'Université de Lorraine, membre associé du laboratoire CRULH et certifié d'Histoire-Géographie (CAPES).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.