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Du béton romain au béton armé: histoire surprenante d'un matériau de construction

En un demi-siècle, le béton, symbole de modernité et de pérennité architecturale, a beaucoup perdu de son attrait. Sensible à l’érosion, souvent synonyme d’urbanisation impersonnelle, il est critiqué pour son impact écologique. De récentes découvertes sur le béton romain pourraient cependant renouveler notre intérêt à son égard.

Le terme de béton renvoie à différents matériaux composites dont le point commun est de mêler de la matière inerte, des graviers ou du sable par exemple, à un liant qui peut être aussi bien de l’argile que du bitume ou encore du ciment. Le résultat est une sorte de pierre artificielle qui prend forme dans un atelier ou peut être directement coulée dans un chantier.

Ainsi pisé et torchis sont des formes anciennes de béton. Les Égyptiens usaient déjà d’un mélange de chaux, d’argile, de sable et d’eau et fabriquaient du mortier – nom donné au béton dont la partie minérale est entièrement composée de sable. Une hypothèse aujourd’hui délaissée, développée à partir de la fin des années 1970, avançait même que les pyramides avaient été bâties à partir de blocs de béton réalisés sur le chantier. En remontant encore dans l’Histoire, on retrouve des mélanges à base d’argile en Mésopotamie, une association fragile dont on a gardé peu de traces.

Les Romains, inventeurs du béton moderne

Le béton au sens moderne du terme apparaît chez les Romains et il fascine depuis lors pour son incroyable longévité. Il a servi par exemple pour la construction de la plus grande coupole en béton non armé, sans armature métallique donc, celle du Panthéon romain. Pesant plus de 5 000 tonnes, d’un diamètre dépassant les 43 mètres, elle fêtera l’an prochain ses 1900 ans, sans laisser apparaître de fragilité notable, ayant résisté aux outrages des hommes et aux secousses sismiques.

On a longtemps cru que cette extraordinaire solidité lui venait de l’usage de la pouzzolane – une roche issue des scories volcaniques, notamment du Vésuve. Une étude menée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) dont les résultats ont été publiés début 2023, a montré que les formidables capacités d’autoréparation du béton romain étaient dues à l’usage de chaux vive portée à très haute température.

Lorsqu’une fissure apparaît, le béton produit au contact de l’eau une solution saturée en calcium qui, en se changeant en carbonate de calcium, vient aussitôt combler le vide. Ainsi, même les ouvrages en bord de mer édifiés par les Romains ont résisté aux outrages du temps.

Quand le béton fascinait les architectes

Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que le ciment naturel refasse son apparition, notamment dans le Sud-Est de la France. Au début du siècle suivant, Louis Vicat invente le ciment artificiel, basé sur la cuisson d’une juste proportion de calcaire et d’argile. Puis un brevet est développé en Angleterre protégeant le ciment dit de Portland. L’usage de pierres factices se développe et le béton est aussi utilisé en décoration en Italie, en lieu et place du stuc, notamment dans ce qui reste le plus grand passage couvert jamais réalisé, la Galerie Victor-Emmanuel II à Milan.

Vers la fin du XIXe siècle, on s’essaie aux armatures en mortier armé avec l’église Saint-Jean de Montmartre par exemple. L’apparence est encore celle de la brique et le coût de fabrication reste élevé. En 1898, rue Danton à Paris, apparaît le premier immeuble de rapport en béton armé. Ces deux techniques sont concomitantes aux développements de l’architecture du fer qui, du Grand Palais à la tour Eiffel, font les délices des Expositions universelles.

Premier immeuble d'habitation en béton armé, construit en 1892 rue Danton, à Paris.
Premier immeuble d'habitation en béton armé, construit en 1892 rue Danton, à Paris. © Olivier Favier / RFI

Le béton fascine les architectes de l’avant-garde, non sans quelques épisodes hauts en couleur. Ainsi, les propriétaires de la villa Savoye à Poissy font les frais des expérimentations de Le Corbusier sur les toits plats : il pleut dans l’entrée, le long du garage et jusque dans la salle de bain.

Allons-nous vers la fin du béton ?

Les besoins militaires font entrer le béton dans l’air de l’architecture de masse, avec la ligne Maginot voulue pour protéger la France de l’invasion allemande, puis le mur de l’Atlantique censé prévenir les Allemands de tout débarquement allié. L’après-guerre en fait le matériau roi de la reconstruction, avec parfois, comme dans le Havre d’Auguste Perret, de véritables prouesses urbanistiques.

L’ère des grands ensembles et des grands aménagements d’infrastructures routières lui enlève un peu de sa superbe, mais en font le signe le plus ostensible de la modernité. De La Jetée de Chris Marker à La Haine de Mathieu Kassovitz, le béton habille aussi bien la France des « Trente Glorieuses » que celle de la crise des banlieues.

« Aujourd’hui, explique Cyrille Hanappe, architecte-ingénieur et maître de conférences à l'ENSA Paris-Belleville, le béton est passé de mode, mais il continue à être coulé par hectolitres. C’est un peu comme la voiture à essence, avant qu’on arrête, il va se passer du temps. » En cause évidemment cette impression de pérennité dont l’expérience nous a montré qu’elle ne va guère au-delà du demi-siècle. Passé ce délai, il faut choisir entre la destruction et la réhabilitation, ce qui pose la question du coût, mais aussi celle de l’impact carbone, qu’on ne peut plus désormais ignorer.

« Le béton est beaucoup plus compatible avec le capitalisme que la terre, poursuit Cyrille Hanappe, il est fluide, il se coule, on le transporte. » Toute une industrie se développe ainsi autour de lui. C’est aussi dans ce sens, conclut-il, que « le béton romain pose vraiment des questions ». Et depuis leur découverte, les chercheurs du MIT n’ont pas oublié la question du profit. Ils songent déjà à sa commercialisation.