Niger
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Droits des femmes: à chaque génération, des Iraniennes en lutte pour leur liberté

À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, ce 8 mars, RFI a recueilli des témoignages d’Iraniennes de la diaspora, de tous âges et de parcours divers. Unies par le combat pour la liberté et les droits de leurs concitoyennes contre le régime islamique, elles ont chacune traversé une époque différente de l’Iran.

Elles ont 76 ans, 49 ans, 40 ans et 29 ans. Chacune à sa manière, ces quatre Iraniennes se sont battues, de façon plus ou moins directe, pour leur dignité. Et surtout, pour protester contre un système de valeur où la femme « ne compte que pour la moitié de l’homme ».

En 1979, Nazila Golestan a six ans. Elle assiste d’un regard encore innocent à l’instauration de la République  islamique d’Iran, tandis que l’ayatollah Khomeini s’établit comme guide suprême et institue la loi de la charia. Le port du voile pour les femmes devient obligatoire et, petit à petit, les droits des Iraniennes sont radicalement rognés. « Tout le système mis en place par le régime islamique se base sur la misogynie. La violence contre les femmes est devenue une industrie », assène Nazila Golestan, 49 ans, résidant en France depuis 1999.

Pari Barkeshli n’avait pas non plus l’intention de quitter l’Iran quand elle s’exile en France en 1982. Mais à cause de « toutes les restrictions imposées aux femmes », elle n’avait d’autre choix que fuir. Cette pianiste virtuose de 76 ans se souvient très bien de l’arrivée au pouvoir des islamistes. « Avant, j’avais une vie tout à fait normale. Je donnais des concerts, j’étais professeure à l’université, j’avais un compte en banque, je pouvais aller où je voulais, je pouvais m’habiller comme je le souhaitais… Je me suis mariée et j’ai pu divorcer. » Pour elle, sous le règne du dernier Shah (de 1941 à 1979), « être une femme n’était pas un problème ». Puis, en l’espace de quelques mois, tout a basculé sous ses yeux.

Des époques différentes, des vécus similaires

Ce passage d’une ère de relative liberté à celle d’un système « au fondement sexiste », Behnaz Shakerian, elle, ne l’a jamais connu. Née en 1994, quinze ans après l'instauration du régime islamique en Iran, la jeune femme est restée en Iran vingt-cinq ans avant de partir en France pour poursuivre ses études. « Je n’étais pas heureuse dans mon pays. J’étais frustrée, bloquée. Toutes les opportunités étaient réservées aux hommes. Une femme n’a aucun droit en Iran. Il n’y a rien pour moi là-bas », soupire-t-elle.

En effet, à partir de 1979, un paquet de lois restreignant considérablement les droits des femmes est adopté. Politiques natalistes, interdiction de la contraception permanente, l'obligation d'obtenir l'accord du mari pour voyager, droits limités en cas de divorce, notamment en ce qui concerne la garde des enfants… À mesure que les politiques publiques se durcissent, les Iraniennes perdent encore et encore « leur indépendance et leur autonomie ». En 2021, l’écart moyen de salaire entre les femmes et les hommes était de 41% en Iran, d’après Le Monde.

Behnaz Shakerian s’est elle-même longtemps heurtée à des difficultés économiques à cause de son genre. « Je ne pouvais pas gagner ma vie alors que j’étais très qualifiée. Je voulais avoir un emploi dans l’informatique en parallèle de mes études. Mais lors d’un entretien d’embauche, un employeur m’a regardé dans les yeux et m’a dit : "Ce n'est pas un emploi que nous pouvons confier à une femme". C’est tout le temps comme ça. »

Mona Jafarian n’a jamais vécu durablement en Iran mais, comme Behnaz, elle sait très bien à quoi ressemble le quotidien de ses concitoyennes. Arrivée en France à un an et demi, elle assure être toujours restée « très Iranienne ». Pendant toute sa jeunesse, cette créatrice de contenus passe ses étés dans son pays d’origine. Et plus elle grandit, plus elle se confronte à « l’apartheid de genre et à l’oppression » que subissent les femmes. « Quand j’allais à la plage, je trouvais ça complètement dingue qu’il y ait des horaires spécifiques pour les femmes et des rideaux dans l’eau à ne pas dépasser, au cas où un homme pourrait nous voir », se souvient-elle. 

Une féminité qui tourne à l’humiliation

Nazila Golestan revêt le voile pour la première fois à ses sept ans. « J’ai pleuré sur tout le trajet de l’école », se remémore-t-elle. En primaire, les programmes scolaires lui apprennent qu’être « une femme est quelque chose de négatif ». Alors Nazila se coupe les cheveux, porte des vêtements d’homme, et décide de se faire passer pour un garçon. « Je faisais ça parce que ma féminité me dégoûtait », confie-t-elle. Ce qu’elle décrit comme un trauma lié à son genre, elle l’entretient tout au long de sa puberté. « Je mettais du scotch sur mes seins, je pensais que m’habiller en homme montrerait que je suis forte. »

Un trauma que partage Mona Jafarian, pourtant de dix ans sa cadette. « Faire du ski nautique et devoir se déguiser en garçon, puis remonter vite sur le bateau pour remettre son voile. Se faire réprimander, parce que le manteau n’est pas assez long. Se faire sexualiser alors qu’on a à peine 9 ans. C’est hyper violent et insupportable. Quand on le vit de l’intérieur, on se demande comment les Iraniennes font pour supporter ça tous les jours », raconte-t-elle.

C’est pour cela que lorsqu’elle rejoint la France à ses 25 ans, Nazila Golestan réapprend ce que veut dire être une femme. « Je me suis réconciliée avec ma féminité. Quand je passe à la télévision en tant qu’activiste, je fais exprès de me maquiller, de mettre du vernis à ongle, pour montrer aux Iraniens et au régime qu’on peut être une femme, féminine, intelligente et forte », appuie cette porte-parole de l’association HamAva, une coalition nationale pour un Iran démocratique et laïque. 

Passer le flambeau de génération en génération d’Iraniennes

Depuis près de six mois, des images de jeunes femmes, les cheveux au vent, maquillées, fières et la tête haute dans les rues de plusieurs villes, circulent sur les réseaux sociaux. Des vidéos de femmes travaillant sans voile, inscrivant le tag « Mort à Khamenei ! » sur les murs, criant à pleins poumons ce slogan devenu le symbole de la contestation iranienne : « Femme, vie, liberté ». Le soulèvement national contre le régime islamique, déclenché par la mort de la jeune Mahsa Amini après son arrestation pour un foulard jugé « mal porté » le 16 septembre 2022, ne faiblit pas.

Et c’est la nouvelle génération de jeunes femmes et hommes iraniens qui « mène la nation entière, porte tout le poids de la révolution sur son dos et prend tous les risques. C’est une génération incroyable, inarrêtable. Avide de démocratie et de liberté », assure Mona Jafarian, fondatrice de deux collectifs en soutien aux Iraniens, Femmes Azadi et Action 4 Iran.

Comme elle le souligne, la diaspora tout entière est en admiration devant le courage des jeunes Iraniennes. « Malgré la menace d’arrestation, de viol, de torture, elles résistent. Elles sortent sans foulard, ce qui était inimaginable il y a encore six mois. Pour moi, elles ont déjà gagné », ajoute Pari Barkeshli. Cette dernière connaît le « coût de la soumission ». La célèbre pianiste a pourtant tenté de faire changer les choses, elle aussi, à son époque. Active participante aux manifestations contre le port du foulard obligatoire en 1980, elle a finalement vu le régime se consolider, avec l’enlisement de la guerre Iran-Irak.

Behnaz Shakerian ne cache pas son amertume à l'égard de ses aînés. Pour elle, c'est la génération qui a connu le changement de régime du Shah à Khomeini qui détient une vraie part de responsabilité. « Je ne peux pas les excuser de ne pas avoir tenté de plus se rebeller à l’époque, puisque ce sont eux qui nous ont mis dans cette merde ! », lâche-t-elle avec force.

Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, Behnaz ne cesse d’espérer. Seule en France depuis quatre ans, elle est en contact quotidien avec ses amies de l’université restées en Iran. Un soir, une d’elles lui dit : « Je ne vois plus rien pour mon avenir. Parfois, je pense que mourir, c’est mieux que vivre ici. » Mais depuis que le soulèvement national prend de l’ampleur, le moral de ses proches est en train de changer. « Elles ne sont plus frustrées comme avant. Parfois, j’ai très peur pour mes amies, qu’elles meurent ou se fassent arrêter, mais je comprends aussi que pour réussir une révolution, on doit la payer au prix de sa vie », ponctue l’étudiante. 

Les réseaux sociaux, outil phare de la mobilisation

Par rapport aux générations passées, Nazila, Pari, Mona et Behnaz s’accordent toutes à le penser : la jeunesse actuelle n’a plus peur et n’a plus rien à perdre. Surtout, à la différence des mouvements précédents, les Iraniennes ont largement accès aux réseaux sociaux. « J’aime dire qu’on a 87 millions de journalistes en Iran », plaisante Mona Jafarian.

En 1998, Nazila Golestan avait pris part aux manifestations d’étudiants. « À cette époque, on était très peu connecté au reste du monde. Alors que la génération actuelle est née avec le smartphone, elle a un esprit beaucoup plus ouvert. » Et de fait, des références culturelles plus variées, avec des messages à des années-lumière de ceux prônés par la propagande islamique.

« Avec internet, ces jeunes femmes voient bien ce qu’il se passe dans le monde. Et comment ne pas se révolter quand on compare les restrictions qu’on leur impose face à la liberté qu’ont les femmes dans d’autres pays ? », s'interroge Pari Barkeshli. Des Iraniennes mondialisées, éduquées, organisées, résolues. D’une génération « bulldozer qui ne fera pas marche arrière », affirme Mona Jafarian. Des femmes fières, en Iran et à l’étranger, qui bataillent pour la liberté et « une vie normale ».

► À lire aussi : « Ils font tout pour nous faire taire », la diaspora iranienne face aux pressions du régime