Niger
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«Coconut Head Generation», la jeunesse révoltée au Nigeria

En compétition au festival Cinéma du réel, le documentaire « Coconut Head Generation » raconte l’aventure d’un ciné-club à l’université d’Ibadan, la plus ancienne de Nigeria. Le réalisateur Alain Kassanda documente comment cette salle de cinéma se transforme peu à peu en lieu de rassemblement et de discussion qui nourrira aussi la révolte d’étudiants dans la rue. Entretien.

RFI : Coconut Head Generation, qu’est-ce qui se cache derrière ce titre qui sonne si rigolos et énigmatique ?

Alain Kassanda : Le titre vient d’une expression au Nigeria qui est une forme d’insulte. « Coconut Head » désigne quelqu’un qui a la tête creuse et qui est borné. Sauf que cette génération de jeunes Nigérians s’est réapproprié le stigmate pour revendiquer leur côté têtu et se bat pour un avenir meilleur, contre la génération ancienne qui accapare le pouvoir et qui les empêche de s’épanouir pleinement.

Votre film est un hommage à un ciné-club pas comme un autre, le ciné-club à l’université d’Ibadan. Est-ce un hommage à la force du cinéma en général ?

Complètement. Le film montre la force du cinéma, un médium qui permet à des personnes de vivre la même expérience pendant un temps donné. Et, ensuite, de décider ensemble ce qu’elles font de cette expérience-là. En l’occurrence, ces étudiants ici peuvent y voir des films qui parlent de ce que cela leur fait en tant que spectateurs, mais aussi en tant que citoyens. C’est l’aspect citoyen qui est important. C’est ce qui fait communauté. Et il y a une parole qui devient performative, parce que cela ne reste plus que dans l’enceinte de la salle, mais cela se trouve aussi dans la rue pour réclamer un avenir meilleur, une meilleure gouvernance, la fin des violences policières et ainsi de suite…

Vous êtes né à Kinshasa, au Congo, à l’âge de 13 ans vous partez avec votre famille en France. Comment un Franco-Congolais se retrouve-t-il à l’université d’Ibadan, au Nigeria ?

C’est le fruit du hasard. Ma compagne est anthropologue. Elle a trouvé un poste à Ibadan. Et je l’ai suivi en tant que compagnon. J’étais homme au foyer pendant quatre ans. Et je suis passionné de cinéma. Avant de partir, j’étais programmateur d’une salle de cinéma. Quand je suis arrivé à Ibadan, j’ai rencontré un enseignant, un doctorant et un groupe d’étudiant. Ensemble, on a monté un ciné-club. Petit à petit, ce ciné-club a pris de l’ampleur, un nouveau groupe d’étudiants est arrivé, très politisé, très cinéphile. Et là, j’ai pris ma caméra et j’ai filmé ce qui se passait et ce qui se disait. Et comment ils ont organisé eux-mêmes le ciné-club. Le film est né comme ça.

L’enjeu après l’université est souvent de mettre en pratique la théorie. Pour vous, l’enjeu du cinéma consiste-t-il à mettre en pratique quelque chose après la fin de la projection ?

Le premier enjeu du film est déjà de montrer des réalités qui ne sont pas connues ici. Le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent africain et c’est la première puissance économique. Si on faisait un sondage – même dans cette salle de cinéma – on ne sait pas qui peut vous donner les éléments essentiels de ce pays, par exemple, la divise du Nigeria. Qui sait que c’est le naira nigérien ? Il y a une grande ignorance en France des enjeux politiques, économiques et sociaux. Le film permet de donner la parole à ceux qui y vivent, aux protagonistes. Il n’y a pas une voix extérieure qui va parler d’eux, ce sont eux-mêmes qui prennent la parole et qui s’expriment. Cela en soi est un enjeu important. Tout à coup, on se réapproprie la narration. Et il y a une représentation qui est différente. On ne parle pas de terrorisme, on ne parle pas de misère, mais on parle de politique et de la manière qu’on peut construire ensemble une société. Ça, c’est important.

Alain Kassanda, réalisateur de « Coconut Head Generation », au Cinéma du réel.
Alain Kassanda, réalisateur de « Coconut Head Generation », au Cinéma du réel. © Siegfried Forster / RFI

Dans le ciné-club, on voit que les discussions sur le cinéma débordent toujours sur la société. Est-ce pour cela que vous étiez « obligé » de suivre le mouvement étudiant lors des manifestations dans la rue ?

Ma démarche était vraiment de documenter ce qui se passait. J’ai fait le film à partir de la matière dont je disposais. Il se trouve, pendant que je suivais ce projet, il se passait un mouvement que personne n’avait pu imaginer. Quand j’ai filmé les étudiants de 2019, j’étais loin d’imaginer que, un an plus tard, il y aurait un mouvement social si important. Donc, finalement le film est le fruit des évènements tels que je les ai vécus et tels que je les ai documentés. Je n’étais pas au Nigeria lors d’une séance en 2020, donc Tobi, l’un des étudiants du ciné-club, a filmé les images des protestations au Nigeria. Ce film est une coconstruction entre moi, le cinéaste, et Tobi, protagoniste, mais aussi cinéaste dont les images nourrissent le film. C’est aussi ça qui est important dans ma démarche, c’est qu’il y a une notion d’égalité entre filmeur et filmés. On vit la même chose et on partage les mêmes envies, les mêmes aspirations.

Votre documentaire est composé de toutes sortes d’images, parfois filmées avec une caméra à l’épaule, parfois vous utilisez des captures d’écran d’Instagram ou d’images d’Internet. Peut-on parler d’un millefeuille d’images ?

Oui, il y a plusieurs registres d’images : il y a des images d’archives. Le film s’ouvre sur une archive de l’université d’Ibadan de 1952. Il y a des images d’Internet, des extraits de films, comme c’est un ciné-club, on montre aussi des extraits de films que les étudiants voient. Il y a une mise en abyme du spectateur qui voit des gens en train de voir les films. Et puis il y a des images de la mobilisation des étudiants. C’est la structure osseuse du film qui permet de raconter de manière à la fois chronologique, mais aussi plastique. Il y a des typologies d’images qui sont différentes. Cela donne tout son sel au film. Toute la chair du film vient de là aussi.

« Coconut Head Generation », documentaire de Alain Kassanda, présenté au Cinéma du réel.
« Coconut Head Generation », documentaire de Alain Kassanda, présenté au Cinéma du réel. © Alain Kassanda / Ajímátí Films

Votre film rappelle aussi le documentaire de Rafiki Fariala : Nous étudiants !, une plongée sur le campus de l’université de Bangui, en Centrafrique. Croyez-vous comme Fariala que le cinéma est au premier rang pour changer les choses et à construire l’avenir grâce à la jeunesse ?

Malheureusement, je n’ai pas vu ce film, mais je sais de quoi il parle. Et je partage complètement cet avis. Il me semble qu’il a la même démarche, il montre à d’autres, à l’extérieur, la réalité étudiante en Centrafrique, comme moi, je montre ailleurs la réalité étudiante au Nigeria. Il y a une volonté de rendre compte et de donner la parole à ceux qui vivent la situation. C’est une position fortement politique, parce que cela renouvelle les représentations et l’imaginaire qu’on a de ces endroits.

Vous montrez le Nigeria comme une « démocrature ». Quelle est la place du cinéma d’auteur dans ce pays entre les blockbusters américains et la production de Nollywood ?

C’est très compliqué, parce que les quatre années que j’ai passé au Nigeria, je n’ai pas vu de cinéma d’auteur du Nigeria au cinéma. Il faut savoir qu’il y a Nollywood, une industrie cinématographique très dynamique au Nigeria. Avec des séries télé, mais aussi des films de cinéma qui sortent en salles. Cela représente 20% de ce qui sort au cinéma par rapport à 80% de films américains qui sortent sur les écrans. Là-dedans, il n’y a pas de place pour un cinéma d’auteur mondialisé. On ne voit pas voir Ousmane Sembène dans une salle de cinéma à Lagos ou à Ibadan. On ne va pas voir un cinéma d’auteur américain, français ou autre. Donc, le ciné-club est devenu aussi une sorte de cinémathèque où les étudiants avaient accès à des films qui n’étaient pas visibles ailleurs. J’espère que dans les années qui viennent, des cinéastes nigérians vont amorcer aussi un autre cinéma d’auteur, plus exigeant formellement, pour ancrer ce cinéma dans des réalités sociales plus profondes. Parce que Nollywood est aussi un cinéma d’élite qui se regarde elle-même. Et c’est important de montrer d’autres réalités, comme le cinéma italien dans les années 1940 et 1950. Vittorio De Sicca, c’était un cinéma populaire, et il montrait la réalité des classes ouvrières. Il faut ça au Nigeria aujourd’hui. Mais, je suis certain, cela va venir.

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Dans votre film, on ne voit à aucun moment un film d’auteur nigérian au ciné-club.

Oui, il n’y en a pas. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de cinéma d’auteur nigérian, mais il y a peu auquel on a accès. Je pense à Ola Balogun [né en 1945], un pionnier du cinéma nigérian. Il a fait un film, Black Goddess (La Déesse noire, 1978), entre le Brésil et le Nigeria, mais ses films sont difficiles d’accès. Les cinéastes intéressants au Nigeria ne sont pas forcément au Nigeria, ils sont aux États-Unis. C.J. « Fiery » Obasi [né en 1985] était cette année avec Juju Stories au Sundance, le principal festival américain de cinéma indépendant. Il y a quand même des cinéastes qui commencent à amorcer cette trajectoire. Mais cela reste encore trop peu pour qu’il y ait un mouvement qui s’apparente à une branche du cinéma nigérian qui soit autre que Nollywood. Mais ce sont des choses qui vont arriver fatalement.

Votre film sera-t-il vu au Nigeria ?

Mon ambition est de retourner au Nigeria, notamment à Ibadan, dans le ciné-club, pour le montrer aux étudiants qui sont là-bas, et j’espère aussi à Lagos.

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