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Cinéma: «J'ai des rêves électriques» de Valentina Maurel, «on s'aime à cris, parfois à coups»

Cette semaine sort sur les écrans en France le premier long métrage de la réalisatrice Valentina Maurel, du Costa Rica. « J'ai des rêves électriques », multiprimé en 2022 aux festivals de Locarno et de San Sebastián où il a obtenu le prix Horizontes latinos, explore les tensions au sein d'une cellule familiale qui vient d'exploser et plus particulièrement les liens forts entre Eva, l'adolescente rebelle, et son père.

De quelle couleur pourraient être les rêves électriques d'Eva ? Bleu électrique comme la couleur que lui suggère sa mère pour repeindre les murs de sa chambre ? Rouge comme la colère qui semble habiter en permanence l'adolescente aux sourcils froncés et au regard noir ?

« J'ai des rêves électriques dans lesquels mon père, quand il ne peut réparer quelque chose, le fracasse au sol

il s'énerve, crie, insulte

on s'aime à cris, parfois à coups... »

Ce petit poème, c'est son père qui l'a écrit. Un petit texte qu'il lit dans un atelier d'écriture sous le regard attentif de sa fille. Eva et Martin sont habités des mêmes rêves électriques, de la même colère, de la même violence. Eva s'accroche à son père – ses parents viennent de se séparer – comme un naufragé à sa bouée. Une adolescente amoureuse de son géniteur, qui lui cherche un nouvel appartement dans lequel il faudra qu'elle ait sa chambre à elle parce qu'elle veut vivre avec lui. Cette quête d'appartement est l'occasion de déambulations dans San José, la capitale du Costa Rica, ses quartiers populaires aux petites maisons basses et trottoirs défoncés, son relief cabossé et ses câbles électriques anarchiques qui filent dans tous les sens, à l'image de ces personnages qui se cherchent. Une ville et son intimité filmées sans aucun exotisme et avec tout le savoir-faire du chef opérateur Nicolas Wong, un habitué des génériques latino-américains.

Deux prix d'interprétation à Locarno

La famille d'Eva, seize ans, c'est une petite sœur et un chat perturbés par les tensions familiales, une mère danseuse - la très belle Vivian Rodríguez Barquero est Anca - qui tente de rassembler le puzzle explosé de sa famille et de sa maison. Et enfin Martin, le père, un traducteur hypocondriaque, sans le sou, qui essaie de se construire une nouvelle vie, s'inventant peintre-sculpteur-poète. Et Eva donc, une adolescente qui, elle, tente de s'approprier la sienne. Et cela commence par son corps. Eva, interprétée par Daniela Marín Navarro, prix d'interprétation à Locarno l'an passé (comme Reinaldo Amien Gutiérrez qui interprète Martin), est tout le temps à l'image, souvent filmée en gros plan, à fleur de peau. Elle se gratte, se renifle, se masturbe, explore ce corps qui change et qu'elle découvre (une veine précédemment explorée par Valentina Maurel dans son court métrage Lucia en el limbo). Elle se bat aussi... avec son père.

«Tengo sueños electricos» de Valentina Maurel met en scène la relation entre un père et sa fille, entre complicité et violence, un amour qui parfois fait mal.
«Tengo sueños electricos» de Valentina Maurel met en scène la relation entre un père et sa fille, entre complicité et violence, un amour qui parfois fait mal. © Geko disrribution

Une violence intime à l'image de la violence quotidienne : celle des images télévisées que la mère Anca a proscrites, celle de la bagarre de rue entre jeunes, tandis que trois vieux musiciens de rue interprètent un célèbre boléro (Vete de mi), celle de la course poursuite en voiture... Une violence à plusieurs niveaux, banale presque, loin de toute altérité exotique, revendique la réalisatrice. « Le public européen attend du film latino-américain qu’il soit un objet culturel, alors qu’il faudrait qu’il soit simplement un objet de cinéma », explique Valentina Maurel qui, après avoir quitté le Costa Rica pour faire des études en Europe, y est retournée pour y filmer, s'inscrivant dans un renouveau du cinéma national avec de nombreux réalisateurs et réalisatrices comme Ariel Escalante Meza, Paz Fabrega, Alexandra Latishev Salazar, Carolina Arias ou encore Nathalie Álvarez Mesen dont les films tournent dans les festivals, mais peu encore en salles.

Des films qui explorent l'intimité des relations amicales ou amoureuses, la vie familiale, à rebours d'un cinéma « exotisant ».