Niger
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Au Québec, les immigrants apprennent à parler français dans des cours intensifs

Seule province francophone du Canada, le Québec accueille chaque année des dizaines de milliers de migrants, souvent non-francophones. Pour conserver sa langue, la province a mis en place un vaste programme de francisation des nouveaux arrivants. Immersion dans une salle de classe de Montréal, à l'occasion de la Journée internationale de la langue française.

De notre correspondant à Montréal, 

Camille Théocharidès-Auger, le sourire en coin et des cheveux bouclés, sort de la salle des professeurs du centre de francisation Yves Thériault à toute vitesse. Elle donne un cours de 14 heures à 16 heures. Après une licence de littérature, la jeune femme s'est reconvertie dans l'enseignement aux personnes immigrantes. Dans les couloirs bardés de casiers, la jeune professeure de français, encore en formation, salue un élève sur deux.

« Le centre accueille environ 2 000 élèves par an. On est dans le plus grand centre de francisation du Québec, donc du Canada… donc d'Amérique du Nord ? », présume Camille dans les escaliers. Au dernier recensement, les élèves du centre provenaient de 92 pays et parlaient 57 langues différentes. Pénétrer dans l'immense et austère bâtiment à la façade marron, c'est donc plonger dans un maelström de langues, de cultures et d'histoires réunies pendant des mois dans cette école pour adultes avec un objectif : apprendre à parler français.

►À lire aussi : Canada: le Québec veut réaffirmer la place de la langue française

La politique de francisation du Québec est l'une des clés de voûte de la politique d'immigration du gouvernement. Face à la pénurie de main d'œuvre en cours dans la province, le recours à l'immigration est plus que vital, mais le gouvernement provincial souhaite que les immigrants parlent le plus français possible. Le budget en francisation a donc doublé ces cinq dernières années, passant de 94,2 millions de dollars canadiens à 186,6 millions.

Des niveaux variés

Arrivés dans la salle de classe de Camille, des odeurs de cuisines asiatiques se mêlent aux fragrances de plats mexicains. La professeure s'excuse : « Avec la Covid, on a dû étendre le réfectoire dans ma salle de classe, mais c'est temporaire, au moins, ça sent bon avant mon cours ! » Les convives quittent la salle et les élèves prennent place au goutte à goutte. Ici, une jeune femme âgée de 17 ans, là un homme d'une cinquantaine d'année. « La taille des groupes est très variable, d'une quinzaine à une trentaine d'élèves, avec des âges allant de 17 ans jusqu'à 80 ans ! Je cherche encore comment bien concilier parfaitement l'écart d'âge, mais ça marche pas si mal », déclare Camille, enthousiaste.

Le début du cours s'ouvre sur une charade. Au programme du jour : de la conjugaison, de la grammaire et du vocabulaire. En moins d'un an, une grande partie des élèves ont déjà atteint le niveau 6 sur 8. La langue est donc bien maîtrisée, le niveau 4 étant l'équivalent du B2 français. « Personne n'apprend à la même vitesse et tout le monde n'a pas les mêmes objectifs. Certains visent une entrée à l'université, d'autres sont analphabètes dans leur propre langue d'origine et veulent simplement se débrouiller : ils ont un programme spécialisé », précise Caroline Boucher, la directrice du centre Yves Thériault.

Camille et une partie de ses élèves le jeudi 16 mars 2023 à Montréal, dont Ricardo ( à g.,1er rang) et Alessandro (à g. 2eme rang).
Camille et une partie de ses élèves le jeudi 16 mars 2023 à Montréal, dont Ricardo ( à g.,1er rang) et Alessandro (à g. 2eme rang). © RFI - Léopold Picot

Les élèves se retrouvent en petit groupe et Camille circule entre eux. Elle parle distinctement en appuyant ses propos de ses mains. Une femme d'une trentaine d'années et sa camarade, plus jeune, s'entraînent à transformer des phrases du présent vers le passé. La première trouve directement le bon emploi de l'imparfait et éclate de rire. « C'est vraiment très satisfaisant cette lumière qui s'allume quand l'élève à un déclic et s'exprime de plus en plus aisément », confie la professeure avec un grand sourire.

Intensité et détermination

Joëlle Dumaresq travaille depuis 16 ans dans des centres de francisation, et a été affectée de manière permanente au centre Yves Thériault, il y a quatre ans. Aujourd'hui, elle est chargée d'évaluer Camille. Assise au fond de la classe, elle aide Ricardo Mendoza Montiel, 21 ans, à conjuguer des phrases à l'imparfait et au passé composé : « C'est parfois plus difficile pour les latino-américains que pour une langue complètement opposée, comme le chinois : certains ne se rendent pas compte qu'ils ne parlent plus en français, mais en espagnol. » Une remarque confirmée par Ricardo : « Ça se mélange parfois dans ma tête ! Mais l'avantage, c'est que quand je ne sais pas, je peux essayer le mot en espagnol, c'est souvent très proche ».

Joëlle connaît le jeune Mexicain depuis son arrivée au Québec l'an dernier. Des histoires, elle en a recueilli de nombreuses, et ce n'est pas toujours facile de prendre du recul. « On a des psychologues, des assistantes sociales, donc on essaie toujours de garder ce rôle d'orientation vers les bonnes personnes, même si nécessairement, on reste à l'écoute », explique la professeure.

Afin d'obtenir la subvention gouvernementale d'environ 1 000 dollars par mois, qui leur permet de suivre à plein temps les cours de francisation, les élèves doivent étudier du lundi au vendredi, de 8 heures à 16 heures. Ricardo a commencé en mai dernier et parle déjà suffisamment bien français pour décrire son emploi du temps. « Le jeudi et vendredi après les cours, je vais travailler dans un restaurant, et j'y travaille aussi le samedi et le dimanche », explique-t-il, avant d'ajouter : « C'est la vie ! ». Plus tard, il aimerait être vétérinaire. Au Mexique, il a déjà travaillé dans un zoo, et il se souvient encore des aigles qui s'élançaient de son bras. Alessandro Olivo Valdivia, son ami de 19 ans originaire du Pérou, espère reprendre ses études de psychologue. « Je ne suis pas sûr qu'ils acceptent mon équivalence. C'est très long de devenir psychologue, et je ne suis pas certain d'avoir l'argent pour le faire », précise le jeune homme.

Lieu de sociabilisation

Plus qu'un moyen d'apprendre le français, les centres de francisation sont aussi un endroit où renouer avec la société. Ricardo a été profondément marqué par son arrivée au Québec. « Quand on arrive dans un pays où l'on ne connaît pas la langue, c'est horrible. On a envie de parler aux gens, d'échanger, mais tu restes dans ton appartement. Je comprends que certains se tournent vers leurs communautés qui parlent leur langue », explique-t-il. Alessandro et lui s'entraident pendant les cours : lorsque l'un comprend le sens d'un mot en français, il donne à l'autre l'équivalent en espagnol. « Ici, les gens sont assez jeunes, bien plus que dans d'autres centres, on peut se faire beaucoup d'amis », détaille Alessandro.

Les deux comparses s'ouvrent à de nombreuses autres cultures, et découvrent des réalités qu'ils ne connaissaient pas. « J'ai appris quelques mots en ukrainien, c'est passionnant comme les cultures et les langues sont différentes », raconte Alessandro. Ce n'est pas Ricardo qui va le contredire : il est en couple avec une Ukrainienne, rencontrée dans le centre. D'ici à quelques mois, Ricardo et Alessandro arrêteront sans doute de venir au centre pour aller étudier à l'université, ou travailler. Leur niveau de langue, lui, est déjà suffisamment élevé pour tenter l'examen de citoyenneté canadienne.

►À lire aussi : Au Canada, les francophones sont de moins en moins nombreux