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À Besançon, des « audiences vertes » pour faire avancer la justice environnementale

La Cour européenne des droits de l'homme examine ce mercredi 29 mars une requête contre l'État français pour inaction climatique. Pour faire bouger les choses en matière d'environnement, les ONG se tournent de plus en plus vers la justice, qui se saisit de ces problématiques. Ainsi, des tribunaux organisent des journées d'audiences au cours desquelles ne sont jugées que des infractions écologiques.

L'une de ces audiences s'est déroulée au tribunal de Besançon dans le Doubs: à la barre, le 1er février, il est question d'or blanc, de la neige, et d'or vert, la nature. Les maires de deux petites communes comparaissent pour destruction d'espèces protégées et de zones humides. En novembre 2019, des travaux ont eu lieu pour nettoyer une tourbière dont l'eau servait à alimenter les canons à neige d'une station de ski. Le problème: la neige était jaune. Pour qu'elle soit bien blanche, il fallait désherber la retenue d'eau. Le tribunal veut, donc, savoir qui a ordonné ces travaux qui ont abîmé l'écosystème.

Côté partie civile, une association de protection de la nature réclame 7 000 euros de dommages et intérêts. Des «prétentions exorbitantes », s'insurge un avocat de la défense qui rappelle que pour le décès d'un proche, on touche généralement 8 000 euros, et qu'il n'y a aucune jurisprudence pour ce genre d'affaires. C'est justement pour cela qu'il faut des «audiences vertes », explique Claire Keller, substitut du procureur.

« Le droit pénal de l'environnement, c'est 15 000 infractions réparties dans quinze codes différents. C'est un droit à la jonction entre le droit pénal et le droit administratif dont on a peu l'habitude et qui est, donc, peu envoyé au tribunal. Or, en envoyant au tribunal, dans la mesure où c'est un droit très complexe, on va souvent en Cour d'appel, puis en cassation et cela nous permet d'avoir de la jurisprudence », explique la magistrate en charge du pôle régional de l'environnement. «Aujourd'hui, il faut qu'on change définitivement de braquet pour permettre à la Cour de cassation de clarifier des infractions sur lesquelles on a besoin de précisions. »

Au tribunal de Besançon, 90% des dossiers environnementaux se concluent par des alternatives aux poursuites judiciaires, les fautifs étant généralement condamnés à réparer les dégâts causés. Quand il y a procès, ces derniers sont, donc, parfois regroupés sur une journée. Il y a deux «audiences vertes » par an. Il en faudrait plus, estime Alexandre Cheval, chargé de développement à la Fédération de la pêche du Doubs:« Quand on a un dossier de pollution qui passe entre une affaire pédophile et le cambriolage d'une banque, cela paraît moins important. Donc c'est un peu négligé », constate-t-il.« Aujourd'hui, à ces audiences dédiées, on ne parle que d'affaires relevant du même domaine. Du coup, on prend conscience de l'interaction de ces pollutions, de toutes ces destructions de milieux naturels. Et on compare entre des affaires similaires. Cela change tout ! »

Des condamnations publiées dans les journaux

L'une des changements majeurs, c'est le montant des amendes qui a été multiplié par 10 depuis que le tribunal de Besançon met l'accent sur les infractions environnementales. Les condamnations sont également systématiquement publiées dans la presse locale. Objectif : que polluer devienne tellement coûteux financièrement ou en termes d'images qu'industriels et agriculteurs préfèrent dépenser de l'argent pour bien faire les choses.

Me Dominique Landbeck, avocat d'associations de défense de l'environnement, voit déjà les effets positifs de ces « audiences vertes »: «Je crois que le sentiment d'impunité dont pouvaient jouir certaines professions, notamment les fromagers, c'est terminé. Je salue cette volonté de faire enfin bouger les choses », se réjouit le conseil. «C'est un message fort qui est envoyé. Ce sont surtout les condamnations prononcées qui vont faire réfléchir un certain nombre d'acteurs. Je note d'ailleurs avec satisfaction que l'autorité préféctorale vient de diligenter une série de contrôles des stations d'épuration des fromageries. »

Attention toutefois à ne pas tomber dans le militantisme, met en garde Me Jérome Pichoff, avocat de l'un des deux maires poursuivis: « En matière judiciaire, je pense qu'il faut cloisonner de manière très nette ce qui relève du débat public, médiatique, politique ou associatif, de ce qui relève du débat judiciaire. Comme un tribunal se doit d'être impartial, j'ose penser qu'il se met à l'abri et à l'écart des débats qui s'agitent au dehors. »

François Molins, procureur général près la cour de cassation, recommande, lui, la généralisation de ces audiences vertes. Dans un rapport sur la justice environnementale publié en décembre dernier, il réclame également plus de moyens humains et matériels, une meilleure formation pour les magistrats et les enquêteurs ainsi que la création d'un service d'enquête spécialisé au niveau national.

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